Si 1968 marque l’indépendance de l’Ile Maurice, 1810 évoque une autre année décisive. Alors dénommée Isle de France, cet îlot de l’océan Indien gouverné par le Général Decaen voit la menace britannique de plus en plus présente et menace l’empire napoléonien. Et cela est bien connu: lorsque l’empire est attaqué, l’empire contre-attaque! – Franck l.
Sur la route des épices, seule cette ile peuplée d’irréductibles français résiste encore et toujours à l’oppresseur anglais. La couronne de George III ne pouvait tolérer un tel affront et n’hésita pas à hisser le drapeau de la discorde au sein de l’archipel des Mascareignes.
Dans la fraîcheur de la soirée du 23 août 1810, en plein hiver austral, quelques curieux se massent sur les rives du village de Mahébourg contemplant au loin des bâtiments de guerre. Devant eux se jouera dans quelques instants le théâtre fratricide d’une énième lutte entre les éternels ennemis européens. Dans ce match à mort, chacun compte ses champions : 2 vaisseaux et 2 frégates pour la marine française du capitaine Duperré. 1 vaisseau et 3 frégates pour la Royal Navy du capitaine Willoughby offrant ainsi un avantage de 30 canons supplémentaires. Les voiles fièrement gonflées par les alizés vacillent et les coques de bois glissent dans la rade.
Dix jours auparavant, les navires anglais s’étaient astucieusement appropriés l’Ile de la Passe, véritable sentinelle de la rade. Dès lors, les intentions sont claires, la bataille inéluctable. Tel un dernier baroud d’honneur, un ultime tour de piste, les deux prédateurs s’apprêtent à faire parler la poudre sous le regard avisé de la montagne du Lion. Bien qu’impériale sur terre, l’armée de Napoléon Bonaparte se dévoila approximative face à la flotte britannique. L’humiliante défaite de Trafalgar ne fut que l’exemple le plus récent en 1805 d’une suprématie de l’Angleterre sur les territoires écumeux.
Les préparatifs s’amorcent, les marins se regroupent sur le pont dans des parades militaires tant de fois répétées et s’apprêtent à répandre le chaos. Les deux puissances coloniales devront toutefois s’échanger leurs amabilités de manière statique, à l’ancre, du fait de hauts-fonds contraignant les manœuvres. En ce début de soirée, une première détonation d’un canon anglais secoue la nuit. Le capitaine Willoughby n’attendra donc pas le lendemain matin afin de lancer les hostilités au plus grand dam de la visibilité des spectateurs. La réponse ne se fait pas attendre et une fois à distance, les embarcations crachent une pluie de boulets arrachant les coques ennemies dans une épaisse fumée. Morceaux de bois et de chairs crépitent dans la rade de Grand Port durant deux jours pendant que l’azur de l’océan Indien se rougit de ses victimes.
Les capitaines Duperré et Willoughby pansent leurs plaies côte-à-côte.
Cependant l’invincible armada de la couronne britannique possède une cruelle lacune: la connaissance du terrain. Avec un niveau d’eau trop bas, les coques à la dérive des navires de l’Union Jack se heurtent aux bancs de sable et coraux du fait des chaines découpées par les boulets. Alors immobiles, les Anglais se démènent pour éviter le pire.
Trop tard, les Français aidés par un destin joueur voient alors une opportunité unique. Le pilonnage des navires ennemis muets s’accentue sous la clameur des villageois. Tous les navires anglais sont alors coulés ou dans l’impératif de se saborder. Ainsi, la bataille de Grand Port estampille un cinglant revers aux espoirs britanniques et l’unique victoire navale de Napoléon.
Clin d’œil de l’histoire, les deux capitaines ennemis blessés sur mer firent la paire au dispensaire. Soignés au château de Robillard, aujourd’hui le Musée naval de Mahébourg, les capitaines Duperré et Willoughby pansent leurs plaies côte-à-côte.
Cette victoire éclatante sera pourtant de courte durée. Trois mois plus tard, les Anglais feront de nouvelles apparitions et débarqueront dans le nord de l’île. Grâce à des forces quatre fois supérieures et aux milliers de cipayes, ces soldats indiens aux turbans majestueux, l’Angleterre s’accaparera l’unique morceau de terre manquant à son échiquier. Sans moyen de résistance, l’Isle de France devra capituler le 3 Décembre 1810 sous la plume du Général Decaen alors ultime gouverneur tricolore. A présent, place au gouverneur Farquhar qui gommera près d’un siècle de domination française jusqu’à son nom. L’Isle de France n’est plus, vive l’Ile Maurice!
Toutefois, un tel triomphe (accompagné d’une once de vanité…) ne pouvait être condamné à l’oubli pour les soldats de Napoléon Bonaparte. Ce dernier décide alors de faire graver dans le roc de l’Arc de triomphe le nom de cette bataille au cœur de Paris. Encore aujourd’hui, le soldat inconnu peut alors contempler le nom de GRAND PORT qui ranime la flamme de ce souvenir.
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Tout bonnement passionnant « la république des bâtards » raconte la prise de maurice par les anglais et dans les détails, la sanglante bataille de grand port. Edité à compte d’auteur, le livre lancé fin 2011 et réédité en 2012 – car victime de son succès – raconte pour la première fois dans la littérature mauricienne l’histoire de l’isle de france d’un autre point de vue que celui des colonisateurs. A travers l’histoire de sa propre famille, l’auteur aborde les thèmes universels que sont la conquête de l’homme sur la nature sauvage, l’amour, les rivalités familiales, les préjugés sur les questions de races, de classes sociales et de cultures et bien sûr les guerres sur fond de société coloniale. A dévorer sans plus attendre. « la république des bâtards » de bertrand d’espaignet, (encore) disponible en librairie.