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samedi, novembre 23, 2024

Femme et chef d’État de Maurice : «Oui, c’est possible!»

Biologiste, déjà première femme professeure de l’Université de Maurice et première doyenne de la faculté des sciences, Ameenah Gurib-Fakim était déjà une pionnière. Le vendredi 5 juin 2015, elle prend le poste honorifique de Présidente de la République de l’île Maurice. Elle est la première apolitique nommée à ce poste et cela a fait de nombreuses critiques. Aujourd’hui, elle revient sur sa nomination et sur le statut de la femme dans la société mauricienne. 

Votre nomination à la présidence de l’État mauricien a été l’objet de nombreux débats. Si les critiques y ont vu un « prétexte pour éviter un programme sur l’émancipation féminine », d’autres ont évoqué que vous étiez « une carte politique ». Avec le recul, qu’est-ce que vous souhaitez dire aux critiques ?

Comme vous l’avez dit, ma nomination à ce poste a été critiquée à deux niveaux. La première était à l’égard de mon statut de femme et la deuxième concernait mon appartenance ethnique. Je vais tout simplement dire : pourquoi pas ? Pourquoi ne pas avoir une femme à la tête de l’Etat  ou pourquoi ne pas avoir une musulmane à la tête de l’État ? Vous savez, nous vivions dans une société plurielle. Nous avons un mélange de cultures, de races, de religions… et nous avons vu qu’il y a, à travers le monde, beaucoup de problèmes pour ce vivre ensemble. C’est déjà un souci chez nos voisins africains. Je crois que Maurice devient un modèle de paix, de savoir vire ensemble. Cela veut aussi dire une représentation dans le panthéon politique, de toutes les composantes de la société mauricienne et je crois que, aujourd’hui, c’est le cas. Il faut être réaliste ! Ça va pour la stabilité du pays. En ce qui concerne le fait d’être une femme, je dis qu’il n’est pas question d’entrer dans ce débat. La femme doit être présente dans toutes les instances de prises de décision.

Que représente la nomination d’une femme à un poste d’un aussi haut niveau, pour vous et pour l’île Maurice ?

Pour moi, à l’échelle personnelle ce n’est peut être pas aussi fort. Cela, malgré le fait que pour la famille et pour la société, c’est important. Moi, je pense que c’est plus important pour cette fille qui grandit dans un village. La fille qui me regarde ici, à ce poste va se dire : oui, c’est possible ! Oui, c’est possible d’arriver au poste de chef de l’État sans avoir fait de la politique active. Oui c’est possible d’avoir été dans le monde académique, d’avoir été un entrepreneur, d’avoir eu un parcours assez étriqué pour finalement arriver jusqu’ici. Je pense que ce symbolisme est plus fort pour la fille qui grandit dans le village de Plaine-Magnien, où je suis née. Pour le pays, c’est tout aussi important. Avec la nomination d’une femme à la présidence, nous avons quand même refait les statistiques pour l’Afrique. Je suis la quatrième femme à avoir occupé ce poste dans la région. Si vous regardez le continent européen et le continent américain, ce n’est pas aussi fréquent d’avoir des femmes chefs d’Etats. C’est un message très fort qui est envoyé au reste du monde.

Femme et chef d’État de Maurice : «Oui, c’est possible!»

Ma réponse aux critiques: une femme
et une musulmane
à la tête de l’État !
Pourquoi pas?

Pensez-vous que la symbolique d’être la première femme chef de l’État permet, ou va permettre, de faire avancer la cause de la femme dans le pays ?

Vous avez dit symbolique, c’est déjà important. Je crois qu’il y a un réveil et un sursaut, surtout parmi les jeunes filles, qui se disent : oui, il faut composer avec la femme mauricienne. Les femmes représentent plus de 50 % de la population, on ne peut pas négliger le potentiel de l’intelligence, de la main-d’œuvre et de l’intuition féminine. Les pays qui ont intégré et valorisé leurs compétences, sont des pays qui ont vraiment fait beaucoup de progrès. Je crois que ce n’était pas plus tard qu’il y a deux semaines, que le président américain a fait le même constat. Donc, c’est une main œuvre qu’il faut valoriser d’avantage.

Quelles ont été vos appréhensions concernant les impacts de votre nouvelle carrière sur votre vie personnelle ?

Après presqu’un an à la présidence, je dois dire que ma vie personnelle n’a pas été vraiment impactée. Tout le long de ma carrière, j’ai eu une certaine indépendance de faire les choses comme je les pensais. Ma famille a été toujours présente.

Donc, vous n’avez pas forcement eu des craintes ?

Quelques appréhensions, oui. C’est quand même impressionnant comme poste ! Vous n’avez plus le droit à l’erreur. Il faut être très prudent par rapport à tout ce qu’on dit ou ce qu’on fait, car on engage l’Etat. Heureusement, le parcours que j’ai eue jusqu’à maintenant a aidé à être plus consciente du poids de la parole.

Ameenah Gurib-Fakim, vous êtes vous-même une mère de famille. Pensez-vous que la femme mauricienne d’aujourd’hui a dépassé le statut de femme ou de mère de quelqu’un pour se créer son propre statut dans la société ?

Le statut est toujours là. La femme, c’est le socle de la famille. Je crois que c’est quelque chose dont elle se rend compte de plus en plus, si elle n’était pas déjà consciente de ça. La femme est multitasking.  Nous faisons beaucoup de choses dans une journée, et je crois que ça a développé un côté que seule la femme peut conjuguer avec son positionnement au sein de la société. Je crois que si on valorise cette compétence, on va s’en sortir encore mieux.

Donc le statut de la mère est reconnu ?

Oui, absolument ! Le statut est reconnu. Si vous regardez un famille où il n’y a pas de mère, où il n’y pas de femme… ça fait réfléchir. Donc la femme mauricienne s’assume de plus en plus, elle veut être carriériste, elle veut être mère, avoir une vie remplie, épanouie, et je pense que c’est tout à fait légitime.

Et vous pensez qu’on peut assembler les deux vies, carrière et famille ?

Oui la femme peut le faire. Si vous regardez comment ça se présente à travers le monde, on demande que le père s’assume de plus en plus dans la famille. Il y a de plus en plus de congés de paternité, qu’on doit absolument reconsidérer. Si les pères s’engagent, si le conjoint s’engage, je crois qu’il y aura beaucoup plus d’espace pour la progression de la femme.

Les femmes représentent plus de 50 % de la population, on ne peut pas négliger le potentiel de l’intelligence, de la main-d’œuvre et de l’intuition féminine.

Pour l’occasion de la fête des mères, quel est votre message aux mamans mauriciennes ?

Je ne veux pas forcément donner un message. La femme doit se sentir épanouie, comme mère parce qu’elle a un rôle fondamental à jouer dans l’avenir des enfants, mais elle doit se donner encore plus dans le bon fonctionnement de la société. La femme est toujours le vecteur des valeurs. Et, d’ailleurs, les grands de ce monde, que ce soit Gandhi ou Mandela, ont tous dit la même chose: quand on éduque une femme, on éduque une famille, un société, une nation. Donc, elle a ce rôle capital au sein de la famille, au sein de la société. Elle doit apprendre à oser à faire des choses qu’elle a toujours voulu faire. Il faut avoir confiance en soi! Il faut vivre sa vie de femme et de mère!

Et aux jeunes filles ?

Il faut  continuer à rêver. Rêver grand! Ce n’est pas parce qu’on vit à Maurice, qu’on ne peut pas avoir des grands rêves. La société va toujours mettre des freins, mais il faut se dépasser et rêver!

 

LA SCIENTIFIQUE

Vous revenez de Paris où vous avez été faite Grand Officier de la Légion d’honneur. Que représente cette reconnaissance pour vous, quoique vous ne soyez pas indifférente aux nominations internationales pour votre travail accompli au niveau scientifique ?

Quand le Président Hollande m’a proposé cette nomination, il m’a dit que c’était pour récompenser mon parcours scientifique, mon parcours dans le secteur de entrepreneuriat et mon engagement pour une meilleure représentation féminine à tous les niveaux. L’autre élément qui a été récompensé, c’est la volonté de Maurice de faire avancer cette thématique qui est le changement climatique. Malgré le fait que nous soyons un petit pays, l’Intended Nationally Determined Contributions (INDCs) que nous avons envoyé au sommet de Paris, l’an dernier, était pour contribuer avec les moyens que nous avons dans l’avancement de cette thématique qui, pour moi, représente peut être le plus grand défi que connaît l’humanité. Donc c’était mon parcours académique et éventuellement, le petit parcours que j’ai à ce jour (rires) en tant que chef d’État qui ont été récompensés. Encore une fois, l’échelle personnelle, c’est une décoration, mais pour Maurice, ça fait rayonner le pays au plus haut niveau.

Parlant des sciences, avant d’être officiellement nommée au poste de Présidente de la République, vous étiez active dans l’implantation du premier Biopark de Maurice. Vous avez dû laisser de côté vos projets pour répondre à l’appel de l’Etat. Au sein de votre nouvelle fonction, comment faites-vous pour satisfaire la scientifique qui est en vous ?

Aider à créer le Biopark était important à plusieurs titres. La fracture entre le Nord et le Sud, elle est scientifique. Pourquoi les pays du sud n’ont pas faits de gros progrès ? C’est parce que nous n’avons pas su traduire les travaux de recherches du monde académique, par exemple, dans le secteur de entrepreneuriat ou du développement et de l’innovation. Créer ce Biopark était important pour envoyer un signal : la science est importante. C’est le seul secteur qui pourra créer des opportunités pour les jeunes, créer de l’emploi. Les pays qui ont su faire ce parcours, sont des pays qui sont maintenant des géants dans le monde. J’ai repris plusieurs fois l’exemple du Singapour, de la Corée du sud, d’Israël et La Suisse. Ce sont des pays qui n’ont rien comme ressources dans le sol, mais ils ont composé avec le capital humain dans la science, la technologie et l’innovation. Évidemment, qui dit créer la richesse, veut dire impacter la vie de tout le monde. Pour revenir à votre question, aujourd’hui, je suis très sollicitée, en tant que chef d’État, à travers le monde pour parler sur l’importance de la science. Je crois que c’est une voix qui va être écoutée, je l’espère.

Personnellement, vous êtes touchée par le changement climatique. Aujourd’hui souhaitez-vous adresser un message aux mauriciens par rapport à la protection de notre environnement ?

Maurice est une île qui est un point chaud planétaire, au niveau de la biodiversité. Évidemment, nous ne sommes pas pollueurs parce que nous sommes très petit. Notre contribution est relativement faible. Néanmoins, nous devons tous être concernés sur la question du changement climatique, notamment de l’impact  que ça aura sur la biodiversité de la région. Les îles et les points chauds planétaires ne représentent que 1.4 %  de la superficie de la terre, mais ils regroupent quand même entre 35 et 40 % de la biodiversité mondiale. Cela représente également 35 % des populations les plus vulnérables au monde. En globalité, l’impact sur cette région planétaire sera très fort. Encore une fois, nous avons peur de pas mal de défis, mais le défi le plus important qui guette l’humanité c’est le changement climatique. Nous voyons déjà le phénomène de réfugiés climatiques. Nous allons devoir considérer et traiter ce problème plus sérieusement dans le futur.

WOMEN’S FORUM EN JUIN 2016

Femme et chef d’État de Maurice : «Oui, c’est possible!»

L’île Maurice accueillera le Women’s Forum du 20 au 21 juin prochain, annonce Ameenah Gurib-Fakim. Ce forum d’affaires international, est une première pour le pays. Environ 400 participants, dont 70% de femmes se rencontreront pour discuter et partager sur le thème suivant : Meeting the climate challenge for SIDS and Africa.

« J’invite les mauriciennes à être présentes au Women’s Forum Mauritius en juin 2016. C’est un grand forum international. La thématique de cette année sera le climat. Nous aborderons différents aspects, notamment Climat et énergie, Climat et agriculture, Climat et santé et, puisque nous sommes dans cette démarche de durabilité, il y aura aussi une thématique sur l’innovation frugale, soit comment faire plus avec moins de ressources. »

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