En 1972, pour la première fois, les Nations Unies font de l’écologie une question majeure. Au fil des décennies, la conscience collective s’élève et toutes les politiques environnementales de par le monde tentent de répondre aux défis fondamentaux – toujours plus nombreux, toujours plus impérieux – que notre planète nous lance désespérément. L’enjeu colossal frappe tous les secteurs économiques et domaines d’activité. Parmi eux, il en est un qui se mêle plus étroitement encore au brûlant sujet : le tourisme.
Plus que l’acte citoyen aujourd’hui indissociable du mode de vie écoresponsable qui devrait être l’unique adopté par tous, l’engagement écologique au sein de l’industrie touristique doit faire figure d’exemple. Dans sa globalité, celle-ci fait fonctionner 25% de l’économie mauricienne, avec la grande particularité d’impliquer diverses parties prenantes : les professionnels, les touristes, la population.
Maurice – loin de toute politique de bétonisation instaurée dans les années 70 et 80 sur bon nombre de territoires du globe et visant le tourisme de masse sans aucune préoccupation environnementale – représente pour sa clientèle, majoritairement venue d’Europe, l’image d’une destination paradisiaque, authentique et épargnée.
Ne nous mentons pas, il reste encore – ici et ailleurs – beaucoup à faire en termes de protection des écosystèmes terrestres et marins, de lutte contre la pollution (ce fléau quasi culturel à Maurice), de recherche de solutions pour le traitement des déchets, d’amélioration des conditions sanitaires et sociales de la population, de développement de l’économie circulaire… Mais félicitons-nous, car nous sommes sur la bonne voie. Celle d’un comportement plus sain, plus propre. Celle d’une industrie touristique plus verte, plus bleue ! Cette dernière est la réponse aux attentes d’une clientèle progressivement sensibilisée au respect de l’environnement. Les visiteurs européens du premier semestre 2022 étaient principalement des Français, Allemands et Anglais, aujourd’hui indéniablement plus engagés dans la cause écologique que d’autres segments de voyageurs ! Constat est fait que ces lointains marchés touristiques (et oublions pour la bonne cause la désolante empreinte carbone) ciblent d’abord les établissements hôteliers de luxe et 5 étoiles qui font depuis toujours la renommée de notre île. Si la philosophie de ces derniers est d’offrir (et maintenir) l’excellence dans leurs prestations et services, elle ne peut se concevoir sans la notion ô combien actuelle et fondamentale de durabilité. Autrement dit, sans faire de ses hôtes les membres – actifs ou passifs – d’un séjour écoresponsable.
Les groupes hôteliers au centre du dispositif
Depuis des années, l’industrie hôtelière mauricienne prend ses responsabilités et se met au vert. Au-delà du zéro plastique – une évidence sociétale –, elle pratique avec conscience l’écologie vertueuse. Tant pour la planète que pour ses habitants. Tant pour ses collaborateurs que pour ses clients.
Chez Beachcomber, deux adresses sont à proximité du Morne Brabant, classé au Patrimoine Mondial de l’Unesco, et deux autres sont situées face à deux parcs marins hautement protégés. Le patrimoine naturel qui s’offre aux visiteurs doit être sauvegardé. À travers sa Charte Environnementale et Sociétale, le groupe hôtelier (fort de sept décennies de présence sur l’île) décline 52 engagements dans 8 domaines d’intervention. Ce projet d’envergure soutient l’épanouissement communautaire à travers la Fondation Espoir Développement. Pointe, suit, actualise les actions de terrain mises en place pour réduire l’empreinte carbone. Le recyclage des eaux usées dans les stations de traitement de ses huit resorts couvre la quasi-totalité de leurs besoins en irrigation. Des aérateurs sur les robinets, ainsi que des pommeaux de douche à débit réduit régulent intelligemment la consommation. Des unités de dessalement fournissent en eau potable les établissements de Trou aux Biches et de la péninsule du Morne. 3500 panneaux photovoltaïques couvrent les toits de tous les hôtels et font réaliser jusqu’à 20% d’économie d’énergie ; des variateurs de vitesse sur les appareils énergivores jusqu’à 40%. Le même pourcentage des déchets est recyclé, et en cuisines, l’approvisionnement est local, prioritairement labellisé Made in Moris. Une collaboration avec FoodWise permet, en outre, la distribution des surplus de nourriture aux communautés voisines. Le Victoria Resort & Spa vient d’ailleurs d’obtenir la jolie note de 88% d’objectifs atteints pour l’accréditation « The Pledge on Food Waste » portant sur 95 critères d’évaluation.
Le groupe Attitude (créé en 2008) est résolument éco-engagé. Les produits locaux sont partout, depuis la décoration jusque dans l’assiette, valorisant le savoir-faire artisanal et les talents mauriciens. En 2022, l’objectif d’atteindre 50% de l’approvisionnement en food and beverage auprès d’entreprises labélisées Made in Moris a été largement dépassé ! Préférant avancer par étape pour garantir la bonne application de l’ensemble des procédures, le projet de recyclage et valorisation de la totalité des déchets sera bouclé en 2023. Année qui comptera pour le groupe un autre challenge titanesque, l’analyse du scope 3 de son empreinte carbone, représentant, entre autres, toute la filière d’achat. Dans tous les établissements, l’approvisionnement en thé, café, sucre et snacks locaux se fait dans des récipients en verre au sein des boutiques de vrac. Des fontaines à eau sont partout disponibles. Au sein des spas Poz du groupe, les cosmétiques sont naturels, les crèmes solaires minérales. Huile de moringa, huile de noix de coco pure, grains de café de Chamarel… constituent la base des soins. La Green Attitude Foundation finance divers projets de développement durable, tandis que des sessions permanentes de sensibilisation auprès des clients sont assurées par les biologistes du Marine Discovery Centre, situé au Lagoon Attitude. Collaborant avec des ONG et organismes locaux, le centre acte pour la sauvegarde des baleines à bosse, des tortues imbriquées et des espèces endémiques.
Pour le groupe Sunlife (sur le marché mauricien depuis 1976), le tourisme responsable passe aussi et surtout par la protection du lagon, la restauration de son écosystème et la réduction de sa pollution. Lorsque l’on sait que les récifs coraliens abritent plus de 25% de la vie marine du globe, la question est primordiale. Depuis 2019, au centre de recherche de l’hôtel La Pirogue à Flic en Flac, un biologiste travaille sur le blanchissement des coraux dans leur milieu, tout en sensibilisant les hôtes en vacances. Le projet d’élevage coralien visant à remplacer les espèces endommagées et favoriser l’épanouissement de celles existantes abrite 550 fragments de coraux. De son côté, le Long Beach, sur la côte est, exploite la première nurserie à microfragmentation. Distinguée à l’international fin 2021 pour la meilleure initiative en matière de développement durable, la ferme permet au corail de s’accroître quarante fois plus vite que sur le récif, grâce à la découverte scientifique du chercheur américain David Vaughan. Aussi, les quatre resorts du groupe possèdent leur propre potager, exploité par la brigade du restaurant, et réduisent leur consommation énergétique en utilisant 100 % d’énergies renouvelables pour l’eau chaude et produisant 90 % de l’éclairage avec des ampoules LED. Pour sensibiliser les enfants sur l’importance de l’abeille, élément essentiel du grand cycle de la vie, la nouvelle mascotte de Sunlife – la petite abeille nommée Izzy – sera dédiée aux clubs enfants et leurs activités. Quant à la fondation Suncare, elle planche continuellement sur de nombreux projets communautaires et environnementaux.
Au-delà des hôtels
Parmi le flux croissant de touristes que notre petit territoire enregistre depuis sa réouverture au monde en octobre 2021, il y a ceux qui restent dans les hôtels, faisant du seul séjour leur expérience écoresponsable de vacances, et ceux qui veulent donner un autre sens au voyage, par-delà l’enceinte du resort, à la recherche d’un vécu authentique. Les réceptifs et autres opérateurs immergent les voyageurs dans le patrimoine culturel, historique et naturel du pays. Qu’elle soit individuelle ou organisée, la démarche du visiteur le place aux premières loges pour constater les accomplissements sur le terrain : excursions, randonnées pédestres, à cheval ou en vélo, sorties nautiques non motorisées, etc. sont autant d’activités zéro carbone auxquelles l’écotouriste s’adonne dans des lieux (a priori) préservés. La conscience environnementale passe par les actions écologiques continues de fondations, collectifs, ONG et autres intervenants, mais aussi par les pratiques raisonnées dans des domaines indirectement liés au tourisme, comme la culture de la canne, par exemple. « Nous produisons ce que le secteur touristique consomme », nous confie Jacqueline Sauzier, secrétaire générale de la Chambre d’Agriculture de Maurice (MCA), une association privée fondée en 1853. Et pour rassurer l’imaginaire collectif qui associe encore l’agriculture à la pollution, elle ajoute : « Je ne souhaite pas que l’on mette tout le monde dans le même panier : les membres de la Chambre d’Agriculture ont une utilisation raisonnée des produits phytosanitaires, car ils sont certifiés Bonsucro, norme qui prône une utilisation très réduite d’herbicides et de fertilisants chimiques. » Assurément, la protection des biodiversités et écosystèmes au travers de pratiques agricoles saines et respectueuses profitent à la fois aux Mauriciens et aux touristes.
L’union fait la force !
En charge de projets de conservation, recherche et éducation… l’ONG Reef Conservation s’allie depuis toujours aux membres de l’AHRIM (Association des Hôteliers et Restaurateurs de l’île Maurice) pour garantir un tourisme écologique. Le Snorkeling Trail en partenariat avec le Radisson Blu Poste Lafayette ; Belombrepedia, l’encyclopédie numérique sur le patrimoine naturel de Bel Ombre, initiée par la Rogers Foundation ; le projet Coral Restoration, cofinancé, entre autres, par les hôtels de la Compagnie de Beau Vallon sont des projets qui font la force, car développés dans l’union !
En marge de la COP27, SUNREF Maurice, le label de « finance verte » de l’Agence Française de Développement (AFD), a mobilisé en novembre dernier la communauté internationale et ses représentants des secteurs public et privé. L’objectif : solutionner le renforcement des écosystèmes locaux et limiter le recul de nos côtes. Les chiffres officiels révèlent une montée annuelle du niveau de la mer de 5,6 mm à Maurice et 9 mm à Rodrigues, lorsque la moyenne mondiale est de 3,3 mm. Les Petits États Insulaires en Développement (PEID) sont directement menacés par le changement climatique. En partenariat avec plusieurs banques mauriciennes, l’AFD a mis à disposition une ligne de crédit de 85 millions d’euros pour encourager entreprises et particuliers locaux à investir dans les énergies renouvelables, la réduction de la consommation d’eau et son traitement, la gestion des zones côtières, l’agroécologie, etc. SUNREF Maurice stimule ces investissements à travers des green loans (prêts verts destinés à des fins durables) comprenant des primes de l’ordre de 5% à 16% du montant des prêts. Les protagonistes pas ou peu sensibilisés à la cause écologique le seront-ils à l’intérêt financier ?
Du côté de la Mauritian Wildlife Foundation (MWF) – la plus importante ONG locale chargée de la protection des espèces végétales et animales menacées – les visiteurs deviennent des membres actifs ! Au sein d’écotours en petits groupes, ils sont conservateurs d’un jour, observateurs des oiseaux de mer, témoins de la préservation de la biosphère dans le parc national, les réserves naturelles de l’île aux Aigrettes, Grande Montagne à Rodrigues…
Quant à la Marine Megafauna Conservation Organisation (MMCO), elle déroule des programmes de formation et sensibilisation auprès des pêcheurs, opérateurs maritimes, communautés locales et visiteurs, sur l’urgence de protéger et respecter les grandes créatures marines. En coopération avec les autorités mauriciennes, l’Université de Maurice et des experts français, l’ONG analyse ces populations en voie de disparition dans nos eaux, principalement les baleines, tortues et requins. Lors d’expéditions en mer, elle récolte de précieuses données scientifiques, photographiques, cinématographiques.
Agir, c’est éduquer !
Éduquer c’est transmettre. La MWF apporte sur bon nombre de sites protégés sa technicité scientifique. Sur l’île aux Aigrettes, dans la Vallée de Ferney… des guides naturalistes sont formés. Dans la forêt d’Ebony, l’expertise de l’ONG a permis, notamment, la construction de la pépinière et l’identification de toutes les plantes. La quinzaine de personnes travaillant sur le site sont d’ailleurs d’anciens employés de la MWF.
Éduquer, c’est donner les moyens d’agir. Depuis 2015, le projet Smart Agriculture de la MCA accompagne les planteurs de toutes tailles dans l’amélioration de leurs pratiques agroécologiques, en leur apportant matériels, techniques et connaissances. Côté mer, 20% des captures de thons dans le monde s’effectuent dans le sud-ouest de l’océan Indien. C’est dire l’importance de maintenir l’équilibre de ses précieuses ressources, écosystèmes et fonds marins menacés, entre autres par la surpêche. Dans sa lutte contre cet exercice illégal, la Commission de l’Océan Indien (COI) a récemment fourni aux inspecteurs des pêches des sept pays (dont Maurice) participant au Plan Régional de Surveillance des Pêches (PRSP) du matériel informatique, de sécurité et d’enregistrement, afin de stopper plus efficacement le fléau. Alors que 30 % des infractions relevées lors de la 1ère mission en mer du PRSP (en 2007) étaient graves, toutes celles constatées lors de la 59ème (en novembre 2022) étaient mineures.
Éduquer, c’est former. Si la prise de conscience des visiteurs est palpable, la nécessité pour Reef Conservation de poursuivre les campagnes de sensibilisation est indispensable. « Il faut encore plus de formation auprès des centres de plongée, operateurs d’activités de loisirs et usagers de la mer. Plus d’engagement réel sur le terrain ! Parce qu’il est plus facile de like/share que de participer activement ! », nous confie Candice Couacaud, chargée de communication chez Reef Conservation. Pour la MCA, la formation de futurs agriculteurs au sein d’une école technique agricole permettrait de changer le mode de production et de consommation, de booster la conscience et l’éducation. Le projet est à l’étude.
Éduquer, c’est sanctionner. S’agissant de réglementation, le ministère du Tourisme, conduit par Steven Obeegadoo, contrôle les activités des tour-opérateurs et agences locales, hôtels, taxis, etc. Une partie de ses responsabilités est d’autoriser et superviser l’utilisation des embarcations de plaisance et leurs activités connexes, comme l’observation touristique des baleines et des dauphins dans des conditions acceptables. Si la loi initiale de 2012 les régit précisément, les mesures drastiques prises en mars 2020 par la Tourism Authority interdisent aux opérateurs de proposer les pratiques aberrantes de mise à l’eau et nage avec lesdits cétacés ! Côté terre, le constat de l’arrêt total du braconnage des oiseaux de mer sur l’île Ronde est lié à la simple présence de la MWF sur le site depuis 1996. Éduquer, c’est donc aussi et tout bonnement prévenir pour empêcher !
Agir, c’est être patient !
Non, tout n’est pas solutionné, à défaut d’une prise de conscience suffisamment anticipée ! Mais oui, les résultats d’efforts menés depuis des années par tous les opérateurs sont prometteurs ! Le secteur hôtelier mauricien est d’ailleurs récompensé dans ses actions par de nombreuses gratifications environnementales locales et internationales dont la liste serait trop longue à dresser. Rien n’est facile, bien sûr, sauf « de perdre de vue que le travail de nos scientifiques et de nos éducateurs va de pair avec la notion de patience et de temps ! », explique Candice Couacaud (Reef Conservation), avant d’ajouter : « La recherche et l’éducation environnementales sont des courses de fond, pas des sprints. Il n’y a pas de quick win possible, nous nous basons uniquement sur la science, le vivant. » Pour Kavish Tatayah (MWF), le discours est identique : « Le travail ne sera jamais achevé ! Presque 10% de notre flore est éteinte à tout jamais et beaucoup d’oiseaux, tortues, insectes, ainsi que leur habitat, ont totalement disparu. C’est ce qui faisait toute la beauté verte de l’île ! Quatre siècles sont à reconstruire à Maurice et il nous faudra la même durée pour y parvenir ! » De son côté, Jacqueline Sauzier (MCA) place l’urgence dans la révision de notre production énergétique : « Un objectif clair a été annoncé par l’état : 60% d’énergie renouvelable et zéro charbon à l’horizon 2030. Il est urgent d’agir maintenant ! L’agriculture à travers la production locale de biomasses (matières organiques d’origine animale ou végétale pouvant se transformer en énergie) prend tout son sens. »
Derrière ces discours alarmistes, la motivation et l’implication de tous les intervenants rencontrés restent néanmoins et heureusement de mise, parce qu’indissociables des notions de persévérance et ténacité. Dépendants des écosystèmes terrestre, côtier et marin qui nous entourent, nous ne devons rien lâcher ! Les résultats en matière de développement durable sont issus d’efforts sur le long terme, d’essais, tentatives, erreurs, réajustements. D’un engagement continu pour la protection et l’avenir des futures générations de Mauriciens et visiteurs.