Sur la plage du Shandrani, je retrouve l’artiste en grande discussion avec un couple d’Italiens qu’il embarquera trois jours après en balade, à bord de son bateau le Princess.
Nous nous installons sur l’herbe, face à la mer. Sauvage et solitaire, l’enfant du sud est pourtant affable et drôle. « J’aime le contact des gens sur la plage ! Plus c’est difficile, plus c’est intéressant ! », me confesse-t-il en riant. Depuis des années, Zulu arpente quotidiennement la plage pour inviter les visiteurs à le suivre sur son embarcation, aux côtés de son fils Mathieu. Et ça fonctionne plutôt bien !
Pour évoquer son enfance, Zulu cite Mississipi Burning. « Fils du gardien du campement, je n’avais pas le droit de regarder la jolie fille du patron ! Aujourd’hui, je suis invité par les fils des propriétaires, à l’endroit-même où bossait mon père. Une belle revanche sur la vie ! » Le déclic musical s’opère quand il a treize ans et que les pilotes d’Air France, installés dans les bungalows, écoutent Léonard Cohen. « C’était magnifique ! » Tardive, sa première vraie scène suit un bœuf improvisé sur la plage où une composition guitare-voix révèle son talent. Puis vient l’alchimie musicale de Blackmen Bluz et le succès fulgurant ! « J’avais quarante ans, pas le temps ni l’envie d’être une star ! Je voulais rester là ! » Il pointe le lagon.
Il me raconte, ébahi, sa prestation au festival réunionnais Sakifo… derrière Kassav’, Stromae et bien d’autres. La triste et belle histoire de Betty Blues, inspirée d’une femme audacieuse en sari et pieds nus, qui sous les huées du public est montée danser sur scène, le soir du dernier concert du groupe à Mahébourg. Surprenant, Zulu écoute Beethoven, Quincy Jones, Capdevielle… et aurait adoré chanter avec Piaf ou Aznavour ! Quant au titre Mahébourg, il confie avoir « simplement mis la belle lettre de l’auteur dans une très belle enveloppe ». Selon lui, le village n’a pas changé… il est resté Rodrigues ! « Ici, les gens sont pieds nus, authentiques, généreux, rigolent et parlent fort. Tu peux être magistrat, avoir du fric… quand tu descends du débarcadère, que tu vas jouer aux cartes et boire du rhum, t’es le même que les autres ! »
L’homme me livre ses peurs pour le pays devenu inaccessible : « Quand je vois des terrains à 500 000 €, je pense à mes enfants ! À l’inégalité entre ceux en bas de l’échelle et ceux en haut ! » Ses craintes liées aux ravages des drogues, à l’influence des réseaux sociaux sur les gamins, aux questions écologiques, aux mauvaises décisions venant d’en haut… « Avant, les pêcheurs regardaient les étoiles, les algues… aujourd’hui, la météo annonce « pluie » et on ferme les écoles ! »