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jeudi, novembre 21, 2024

Yannick Lincoln : champion au service des champions !

Au fil de l’interview, je ne peux m’empêcher de penser que Yannick, le directeur du Centre National de Haute Performance (CHP) de Côte d’Or, est ici bien à sa place. Est-ce en raison du master en optimisation de la performance sportive (sciences et biomécanique) obtenu à l’Université Paul Sabatier Toulouse III ou de sa volonté assidue de faire bouger les lignes au sein du milieu sportif de haut niveau ? Les deux, sans aucun doute ! Delphine Raimond

En portant sur sa carrière longue d’une trentaine d’années – il a commencé le vélo à onze ans – un regard empreint de clairvoyance, Yannick m’autorise à évoquer avec lui les divers aspects du parcours d’un sportif d’élite. Lorsqu’un athlète est préparé à l’ascension, à l’amélioration continue de ses performances le menant à la réussite, aux victoires… ce que l’on se demande, c’est évidemment s’il est préparé à l’échec, aux défaites. Depuis le visionnage, quelques jours avant ma rencontre avec Yannick, d’un documentaire de 2023, Strong, aussi forts que fragiles, livrant sans tabou les confessions de cinq athlètes sur leur carrière, palmarès, vie familiale, doutes, difficultés et souffrances, une phrase habite mon esprit : « Quand tu gagnes, c’est la routine, quand tu perds, c’est le chaos ! » Yannick sourit, acquiesce et assimile immédiatement la portée de la citation.

LGM : Quel regard portez-vous sur la pression du résultat et la gestion de l’échec ?

YL : Les victoires disséminées sur l’ensemble de ma carrière représentent à peine 10 % ! La grosse majorité est donc composée d’échecs. Pour continuer d’avancer, se remettre en selle, un seul mot : résilience. L’aptitude de chacun à encaisser est très personnelle, mais selon moi, la résilience est l’une des qualités premières que doit avoir le sportif, avant même le talent ! Elle dépend de beaucoup de facteurs, l’enfance, l’éducation, la culture… mais est primordiale, dans tous les domaines et moments de la vie. De mon côté, je suis obligé de me détacher de tout ça, car je n’ai jamais connu le professionnalisme et reste dans le sport amateur et de loisir. 

LGM : Rester dans le sport amateur est-il un choix de votre part ?

YL : Oui. Même si j’ai été jusqu’aux JO en 2016, je reste l’exemple type du sportif amateur, parce que je n’ai jamais donné la priorité à mon sport. J’ai été dirigé par mes parents vers les études en priorité, le sport ne devait absolument pas prendre le dessus ! Vous savez, ils n’ont jamais été sportifs et personne de ma famille ne m’a jamais poussé dans le sport de compétition. Alors, à la FAC, je n’ai raté aucun cours, même les magistraux, contrairement à beaucoup d’étudiants qui pratiquaient le sport avec moi et n’allaient qu’aux cours obligatoires. J’ai eu la chance de progresser en cyclisme dans un bon club, mais pour autant n’ai jamais mis les études de côté ! 

LGM : Votre parcours compte pourtant de belles médailles, poursuivez-vous aujourd’hui les compétitions ?

YL : Je continue les courses, mais j’ai mis un frein au vélo sur route, beaucoup trop astreignant ! Je me suis concentré sur le VTT, dont la pratique est plus libre et indépendante. J’essaie de garder un ou deux objectifs dans l’année, pour continuer à m’amuser. L’an dernier, par exemple, j’ai participé aux Championnats du monde master en Australie, et j’ai fini 3!

LGM : Comment faites-vous pour gérer un quotidien si dense, entre vie personnelle, professionnelle et sportive ?

YL : C’est vrai que j’optimise chaque minute, chaque seconde. Une douche, c’est 4 mn 30 exactement (Rires), pour ne pas que ça pousse tout le reste ! Je ne dois pas être en retard au petit déjeuner avec les filles, pour préparer les repas de Lana, son cartable, etc. L’organisation est millimétrée, pour justement profiter un maximum de tout ce que je veux faire dans la journée ! Nous n’allons pas au ciné, au restau… mais rien de tout ça ne nous manque ! Je reconnais néanmoins que la notion de sacrifice existe, vis-à-vis des autres. Mes enfants, mes frères et sœurs, parents et amis. Le temps consacré à ma passion sportive est à leur détriment, mais elle n’est pas pour moi un sacrifice !

LGM : Vous êtes marié à la championne Aurélie Halvwachs – sélectionnée pour les JO de Paris cet été, en VTT – et avez ensemble deux fillettes, Lana, 8 ans, et Alison, 2 ans. Comment vivent-elles l’omniprésence du sport à la maison ?

YL : Elles nous voient nous entraîner tous les jours et comprennent que le sport, partie intégrante de notre vie, est important pour la leur. Mais on ne les pousse absolument pas vers la compétition ! Lana vit sa vie, est passionnée de danse, fait du roller, un peu de vélo… elle est active. Elle adore la compétition, même si elle est liquéfiée sur la ligne de départ ! (Je l’interroge du regard, il m’explique, posément.) C’est très difficile pour elle, car son entourage lui met la pression. « Tu es la fille de Yannick et Aurélie, tu es forcément une championne ! » Alors, elle se dit qu’elle doit gagner, pour rendre ses parents fiers ! Elle se sent dans l’obligation de fournir un résultat ! Nous nous employons à déconstruire cette étiquette et la laissons vivre sa vie. On est très relax avec ça. Alison, elle, c’est une dynamite, elle a trop d’énergie ! (Rires.) Les jours de pluie, elle défonce la maison ! Nous la mettrons à un sport qui lui prendra beaucoup de temps et d’énergie, pour la canaliser.

LGM : Quel regard portez-vous sur le rôle des parents de sportifs de haut niveau, y compris depuis leur plus jeune âge ?

YL : Il y a des parents restés prépondérants dans la carrière de l’enfant (il me cite des exemples). Ils le poussent, ne lâchent rien. Mais pour conserver une relation familiale saine, le coach doit, à un moment donné, prendre le relais. À l’âge de 14-16 ans, on ne fait plus de sport pour les parents, mais pour le coach ! Ensuite, la motivation intrinsèque de réussir, de faire ça pour soi, arrive autour de 20 ans. Je pense aux enfants qui sont préparés dès la naissance pour être athlètes de haut niveau… Ça peut marcher, mais le pourcentage est infinitésimal ! Et si ça n’est pas le cas, si l’enfant ne devient jamais champion, arrivé à 40 ans, quelles sont ses relations avec ses parents ? Je peux vous dire que dans 100 % des cas, ça finit mal !

L’entrevue des plus agréables s’achève, Yannick regarde sa montre et accepte de me faire découvrir les lieux ; nous avons trois quart d’heure avant son prochain rendez-vous ! Je me sens privilégiée quant au temps si précieux qu’il vient de m’accorder et le suis au pas de course pour une visite très instructive. Retrouvez les coulisses du Complexe sportif de Côte d’Or dans le dossier du mois.

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