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samedi, novembre 23, 2024

Nathacha Appanah, romancière mais pas seulement

Si l’on décide un jour d’écrire un livre…? Pas en ce qui concerne Nathacha Appanah. Car un roman n’est pas un sujet, à l’opposé d’un reportage. Car l’aurions-nous oublié, l’auteure de Tropiques de la violence, roman primé par le Fémina des Lycéens 2016 est aussi journaliste. Et selon la posture engagée, les mots ne s’attrapent pas et ne s’agencent pas sur la page de la même manière.

De retour sur ses terres natales à l’invitation de l’Institut Français de Maurice il y quinze jours, la romancière a donné une conférence publique et animé un atelier d’écriture intitulé « Autoportrait impressionniste d’une jeunesse mauricienne» à destination des jeunes auteurs locaux. Elle nous parle volontiers de son approche de l’écriture selon qu’elle se place comme écrivain ou journaliste. De quelle façon une idée plutôt qu’une autre finit-elle par se métamorphoser en livre…? Si ce n’est un itinéraire toujours plus ou moins tortueux, la naissance d’un livre ne répond à aucune règle selon cette grande admiratrice, – dans le désordre-, d’Annie Ernaux, de Margaret Atwood et de la poétesse Anna de Noailles*. « Il y a d’abord une interrogation, suivie d’une curiosité, de recherches et du travail, une nécessité absolue et pourtant passée sous silence », sourit-elle. Parmi toutes les ébauches qui remplissent son placard,« c’est finalement l’histoire, devenant au fil des mots une entité vivante qui finit par décider si oui ou non, elle va aboutir, car une fois le cahier fermé, elle nous ramène vers elle par un fil invisible », poursuit l’écrivain. Ce fil même, solidement tissé avec Tropique de la violence, son dernier roman, un plongeon dans une Mayotte dure, sordide, aux antipodes des clichés exotiques, qui a exigé un long temps de gestation, soit six ans en tout.

Je suis restée très attachée à Mayotte, où j’ai été marquée par un vécu exclusivement tourné vers l’enfance. Incarnée d’abord par ma fille alors bébé, l’enfant seul et démuni de Mayotte que je pouvais observer chaque jour et l’enfant intérieur, celui de l’écriture que je n’arrivais pas à enfanter sur place – Nathacha Appanah

L’indispensable rêverie

Décidément oui, la naissance d’un roman passe toujours un itinéraire improbable rappelle l’écrivain, car son retour de Mayotte a été suivi d’un cinquième roman, En attendant demain – qui plante son décor sur les bords de l’Atlantique -, avant d’achever Tropiques de la violence. La littérature permet cela, cette douce possibilité de se perdre dans les méandres de la rêverie et de la flânerie sans avoir à se soucier de marquer la frontière entre le réel et la fiction, ni à s’inquiéter d’une quelconque date butoir quant à la pose d’un point final.

« Ce qui est essentiel à la littérature n’a pas sa place dans le reportage », poursuit Nathacha Appanah. Elle évoque alors celui conduit pour le magazine Géo au Sri Lanka au sortir du tsunami meurtrier de 2004 où son investigation l’a bouleversée au point d’en vouloir faire un livre. « Mais ce désir s’est opposé malgré moi à l’impossibilité de transformer ce dont je me suis nourrie en roman, simplement parce que sur place lors de mes investigations de reporter, je n’ai laissé de place ni à la rêverie, ni à la flânerie, des considérations indispensables à la composition d’une fiction». Nathacha Appanah la romancière, s’efface en effet en discontinu pour laisser raconter, tantôt la journaliste qui fournit le journal français Libération en reportages, – le dernier en date était consacré à l’enseignement du français aux allophones – tantôt la chroniqueuse du jeudi, pour le quotidien régional français La Croix.

Son œuvre préférée gardée sécrète

Celle qui ne reprend jamais ses livres une fois publiés, sauf dans le cadre de séances de lecture publiques, avoue chérir particulièrement un de ses six romans. « Parce qu’il est associé a une histoire personnelle, je ne le révèlerai jamais. Une mère donnerait-elle le nom de son enfant préféré si elle en avait un? C’est quelque chose de non avouable, de profondément et de définitivement enfoui», appuie t-elle. Occupée à honorer les nombreux festivals littéraires qui réclament sa présence et à finir la traduction d’un roman anglais, l’écrivain se donne aujourd’hui le temps d’attendre. Un déclic non programmé, à l’issue d’une rencontre, au détour d’une route, à la vue d’un paysage, qui l’investira et lui donnera l’envie d’initier une nouvelle naissance.

Six romans remarqués en 13 ans

  • Dès Les Rochers de Poudre d’Or publié en 2003, un premier roman qui retrace l’épopée des travailleurs indiens venus remplacer les esclaves dans les champs de canne à Maurice, Nathacha Appanah rencontre le succès. Il se confirmera avec Blue Bay Palace en 2004, une fenêtre ouverte sur une Maurice écartelée entre son image carte postale et une société très marquée par les classes et les préjugés.
  • Dans La noce d’Anna, paru en 2005, la narratrice, pendant la journée du mariage de sa fille, Anna, s’interroge sur la transmission entre mère et fille.
  • Le Dernier Frère, sorti en 2007, aux éditions de l’Olivier, raconte l’histoire de Raj et de David, deux enfants reliés par l’innocence brisée et l’envie de fraternité dans un monde fracturé par la seconde guerre mondiale.
  • En 2015, Nathacha Appanah nous propose En attendant demain, avant le très remarqué Tropique de la violence, son sixième roman sélectionné pour les prix Goncourt et Médicis, qui dépeint l’univers terrifiant d’une jeunesse mahoraise désenchantée et livrée à elle-même. Ses romans sont traduits dans 16 pays.

*A reçu le prix Anna de Noailles de l’Académie française le 22 juin dernier.

 

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