L’exposition No story is an island, présentée au Caudan Arts Centre le mois dernier, avait pour ambition d’aiguiser la conscience des vérités historiques. Tout l’art de Nirveda Alleck consiste à mettre le doigt sur les points sensibles et questionner le public, sans le brutaliser, avec humanité…
Dominique Bellier
Le titre inspiré du roman de John Done, No Man is an Island, vient nous dire que l’île fait partie d’un tout, que l’histoire fait notre île ; la quête de vérité aussi ! Depuis ses séries Continuum, où elle représentait avec une précision quasi photographique différentes générations de personnes rencontrées à Maurice et dans les nombreux pays où elle a exposé, cette artiste ne cesse de nous parler de transmission…
Ses recherches plus récentes, dont cette exposition est le fruit, jouent avec l’imagerie insulaire coloniale qu’elle défait et confronte aux regards contemporains. Nourri par une résidence à la Cité internationale des Arts à Paris et par le Visa pour la création de l’Institut français à La Réunion, ce travail s’appuie sur une analyse des représentations humaines et naturelles du XIXe siècle : photographies de Désiré Charnay, gravures de Milbert ou Bory de Saint-Vincent, paysages du peintre Adolphe Le Roy…
Alleck replace ces paysages luxuriants et ces corps dénudés dans un contexte actuel pour réveiller l’esprit critique sur les biais de la propagande coloniale. Elle remonte le temps pour interroger notre présent, tissé de lieux chargés d’autres vies et de drames du passé, d’images d’Épinal tirées de l’histoire officielle et de nos existences faites d’apparences et de réalités, de doutes et de transcendance …
Détachement
L’impérieuse nécessité de renouveler l’imagerie de l’esclavage, Nirveda Alleck en fait son miel, avec ces peintures puissantes et humanistes, d’une admirable maîtrise technique dans le traitement de la couleur, la luminosité, le dessin et la composition. Sous le titre ironique Voyage à la Rivière des Roches, la nudité des anciens esclaves ou travailleurs engagés, venus de Chine, d’Afrique ou d’Inde, photographiés en 1863 « pour la science », interpelle et émeut… Que signifient ces paysages apparemment enchanteurs pour eux ? Que devient-on après la déshumanisation ?
Aujourd’hui, In her garden, qu’éprouve cette dame, au dos dénudé lui aussi, qui a consenti à prendre la pause, à côté des chiens égarés dont elle prend soin ? L’écrivain Bertrand d’Espaignet la compare à une nouvelle Virginie qui a cassé les codes de sa communauté, dans un des poèmes que lui ont inspiré ces tableaux.
Une autre Virginie, d’époque celle-ci, se tourne, dans le quadriptyque L’Héritage, vers les silhouettes de Labourdonnais et d’hommes à casques coloniaux. L’amour impossible dans un sens se réalise dans l’autre, à côté, avec le couple à table d’une femme noire avec un homme blanc, tiré d’une estampe brésilienne. Avec 220 years – qui nous séparent des gravures de Milbert – un jeune homme d’aujourd’hui transcende le passé et lévite dans le rêve et l’ambition d’une nouvelle île Maurice…