Le nom de José Poncini est irrémédiablement lié à la joaillerie et au commerce d’articles de luxe. Son autobiographie posthume, publiée par les Editions Vizavi, vient nous rappeler que ce fils d’horloger suisse a apporté beaucoup plus à notre île. Artisan de la diversification industrielle, promoteur du concept de Zone franche, dont il sera le pionnier, il sera également le premier à miser sur les aptitudes de la main d’œuvre mauricienne… Ce livre, précieux, nous révèle qu’il fut aussi un observateur patient et rigoureux.
En ces temps d’incertitudes, où les politiques ne semblent pas avoir de direction claire dans la conduite du pays, il est habile de rappeler la part que l’on a prise dans les réussites du passé. Et, dans le domaine économique, la Zone franche fut, incontestablement, une réussite. Un succès d’autant plus éclatant, qu’il s’appuyait sur un concept original et audacieux. On ne compte donc plus le nombre de politiciens, d’économistes et de hauts fonctionnaires revendiquant la paternité ou, tout du moins, un «rôle majeur» dans cette réalisation exemplaire.
Selon les proches de José Poncini, ce serait d’ailleurs en constatant que plus personne ne semblait connaître l’origine véritable de la Zone franche, qu’il se serait décidé à coucher ses souvenirs sur le papier. Une œuvre que la mort ne lui laissera malheureusement pas le temps d’achever tout à fait. C’est grâce à l’éditrice Pascale Siew et l’ancien journaliste Gilbert Deville que ces notes ont pu retrouver la fluidité du récit, en respectant, au plus près la pensée et l’écriture de l’auteur.
Prédisposé à « penser autrement »
Au fil des pages, dans un style direct et sobre, toujours clair, même quand il manie des concepts économiques complexes, José Poncini a donc retracé toutes les étapes de sa vie. Car c’est justement son parcours personnel qui le prédisposait à «penser autrement». Et le voilà, soumettant au gouverneur britannique de Maurice, une première ébauche d’un projet de diversification de la production. L’île est alors cantonnée à la seule culture de la canne à sucre et Poncini reconnaît qu’il ne comprend alors pas tout de suite, que sa démarche va à l’encontre de la politique coloniale anglaise. Celle-ci vise à maintenir la colonie dans un état de dépendance économique, industrielle et commerciale totale… Il est jeune et n’a pas encore fait ses preuves. On s’évertue donc à le déconsidérer, notamment avec cette étiquette de «poète», dont les Anglais et les sucriers vont l’affubler. Poète, José Poncini, veut bien l’être, mais à la condition d’être un poète agissant… et puisque son projet de diversification nationale n’a pas trouvé d’échos, ce sont d’abord les affaires familiales, qu’il va diversifier, notamment avec la représentation exclusive de produits chimiques (à l’origine de la création de la compagnie Cernol)…
Révéler l’attitude de chacun
Le passage du terrible cyclone Carol, en 1960, va radicalement changer la donne. La récolte sucrière est en partie dévastée…et les Anglais prennent conscience que l’avenir d’une île Maurice probablement bientôt indépendante, et à la démographie galopante, ne peut plus reposer seulement sur l’industrie sucrière.
Ce sont donc d’abord les administrateurs anglais qui vont suivre les recommandations de Poncini et, initier les premières mesures qui rendront possible la création de la future Zone franche. En 1966, José Poncini inaugure la première usine fonctionnant sur ce modèle: Micro Jewels…
Le livre raconte ainsi, en détail, toutes les étapes de cette lente concrétisation, dans les années 70, d’un projet de développement, que José Poncini avait énoncé à la fin des années 50! C’est que les sceptiques ne manquaient pas… du banquier hautain et méprisant, aux leaders syndicaux qui firent prévaloir leurs luttes d’influence sur l’intérêt du pays, en passant par des fonctionnaires récalcitrants ou des ministres myopes…
Ce n’est d’ailleurs pas le moindre mérite de ce livre que de révéler l’attitude de chacun, à l’époque, alors que tous, ou presque, revendiquent aujourd’hui la paternité de la Zone franche!
A lire absolument!