Sur tout notre littoral, nous voyons de plus en plus de bateaux de plaisance…et surtout, de plus en plus de beaux bateaux de plaisance. La tendance, de ce marché local du nautisme, semble donc marquée par une montée en gamme. Pourtant, des freins importants limitent l’expansion d’une activité que l’on aurait pu croire naturelle, sur une île largement tournée vers le tourisme.
Il n’y a pas si longtemps, à Maurice, le parc des bateaux de plaisance (c’est-à-dire des bateaux exclusivement dévolus aux loisirs, et donc sans aucune activité commerciale) se composait de pirogues, en bois ou en fibre, de lagooners, de tremlett, et de quelques créations locales plus ou moins réussies… A la fin des années 9O, des chantiers locaux se sont mis à proposer des modèles directement « inspirés » de grandes marques internationales. Nos lagons se sont alors peuplés de Donzi ou de Boston Whalers locaux. Reprenant les plans de ces embarcations réputées, les constructeurs mauriciens en tiraient des moules plus ou moins conformes… et donc plus ou moins sécurisants…
Les dernières années ont vu l’arrivée de bateaux fabriqués à l’étranger et offrant des prestations bien supérieures. Des firmes, de plus en plus nombreuses, ont d’ailleurs obtenu les représentations de marques connues. Il est donc plus facile que jamais de faire venir, à Maurice, un Sunseeker, un Princess ou un Lagoon…
Constructeur depuis 1912
Patron d’un centre de pêche au gros et fortement impliqué dans la construction navale locale, Jean-Paul d’Unienville est un témoin privilégié de cette évolution, qu’il analyse avec lucidité. «Il existe, maintenant à Maurice, une clientèle exigeante, prête à payer plus cher pour avoir un bateau plus grand et plus confortable, afin de passer davantage de temps à bord.» Cette clientèle se compose, bien évidemment, de Mauriciens aisés, mais aussi, et peut-être surtout, d’étrangers. Pour J.P. d’Unienville, c’est d’ailleurs pour cette clientèle étrangère que tout se complique…
«Quand vous allez sur la Côte d’Azur ou à Marbella, vous voyez de très beaux yachts amarrés dans les ports, et dont les propriétaires viennent régulièrement passer un séjour à bord. Ils ne résident pas sur place, mais ils viennent passer une quinzaine de jours à bord de temps en temps. Si vous allez à Eden Island, aux Seychelles, vous verrez des centaines de bateaux de toutes les nationalités. Sur certains de ces yachts, les propriétaires vivent à l’année sur leur bateau… Il y aurait sûrement une clientèle pour cela, ici aussi : les terrains pieds dans l’eau n’ont plus de prix, alors vivre à bord d’un beau yacht pourrait être une alternative! Mais ce n’est pas possible…»
Un manque criant de marinas
En effet, la loi mauricienne stipule qu’un bateau enregistré à Maurice ne peut être la propriété que d’un Mauricien ou d’un résident… Et pour les bateaux enregistrés sous d’autres cieux, ils doivent quitter les eaux mauriciennes tous les trois mois ! «Et puis, où voulez-vous amarrer votre yacht, à Maurice ? L’anse de Grand Baie est complètement encombrée et il n’y a pas de grandes marinas. La Balise est une exception, et plutôt destinée aux propriétaires des villas du complexe…» Autre mesure législative curieuse: il est impossible, à Maurice, d’enregistrer plus d’un bateau par personne…
Dans un contexte législatif aussi contraignant, et en l’absence de grands ports de plaisance, on comprend bien le point de vue de notre expert: peu de chances de développer un pôle nautique majeur. Pour autant, on retiendra la partie positive du diagnostic: il y a, chaque année, à Maurice, davantage de plaisanciers naviguant à bord de bateaux de plus en plus beaux!
Le chantier d’Unienville,
Jean-Paul d’Unienville est le descendant d’une longue lignée de constructeurs de bateaux. C’est son arrière-grand-père, en 1912, qui créa le chantier familial. En 1988, un bateau d’Unienville fut le premier, à Maurice, à flotter sur une coque en fibre. Le chantier d’Unienville avait alors un associé qui deviendra une célébrité: Chris Tremlett. On lui doit le procédé d’injection du moulage sous vide ! En 84, le chantier ferme. Depuis, l’oncle de Jean-Paul a repris le flambeau. «Nous construisons un ou deux bateaux par an, explique notre interlocuteur. Ce n’est plus une activité commerciale véritable, mais plutôt le moyen de faire vivre notre passion et de perpétuer la tradition familiale.»