Le 9 août 1829, un Réunionnais d’un rare talent voit le jour. Lui, le « kaf » comme on le définit en créole réunionnais, un esclave dont la trouvaille provoque une situation surprenante: celle de placer Bourbon comme premier producteur de vanille dans le monde. Que dire de cet homme si ce n’est… que c’est un enfant de douze ans! Edmond Albius vous livre les secrets de sa découverte.
Au sein des plantations, les travailleurs usent leurs corps à l’effort. L’esclavagisme bat son plein à Bourbon. Toutefois, Edmond reste cloîtré chaque jour dans la pépinière. Lui, l’orphelin élevé par Feréol Bellier Beaumont, son propriétaire. Un « maître » qui pose un regard bienveillant sur le jeune homme et le prend sous son aile. L’enfant deviendra jardinier et sera prénommé Edmond. À défaut de le brutaliser et d’exposer les membres mutilés d’esclaves récalcitrants dans l’enceinte de la demeure coloniale, Bellier Beaumont lui inculque sa passion: la botanique.
Il perce le mystère de la pollinisation à force d’observation
Et Edmond Albius s’intéresse et s’enthousiasme en particulier pour les vanilliers. Cette orchidée ne représente qu’une petite part de l’exploitation car sa reproduction nécessite une abeille qui n’a pas survécu sur Bourbon. Albius souhaite inverser cette contribution. Jour après jour, l’orphelin inspecte et étudie l’espèce. Comment obtenir des gousses? Le vanillier est hermaphrodite mais sa fécondation semble délicate. L’innocence de l’enfance supplante les certitudes des adultes, alors Albius expérimente. Mieux : il réussit !
En 1841, il consacre le rêve de son maître. L’enfant vient de percer le secret tant recherché de la pollinisation de la plante. Il n’a que douze ans et s’inscrit comme le pionnier d’une manipulation pratiquée à travers le globe.
Les fleurs du vanillier sont fécondées à la main et Edmond Albius navigue de parcelle en parcelle afin de partager à chaque propriétaire son savoir-faire. La culture de la vanille explose, la ville de Sainte-Suzanne jubile.
Si certains destins changent une vie, d’autres modifient l’économie d’un pays. Ainsi la métamorphose financière de Bourbon s’opère. L’émergence de cette culture est une aubaine, promesse de gloire et de richesse pour de nombreux planteurs.
La vanille de cette île, qui reste encore aujourd’hui connue sous le nom de « vanille Bourbon », devient la référence mondiale.
Il ne retire aucun avantage de sa trouvaille
Mais de cette gloire passée, Albius n’en tire aucun avantage. Il n’est pas reconnu à sa juste valeur et, pire, ne bénéficie d’aucune rente de son ingéniosité. Être asservi revient à être illégitime et exclut toute possibilité de rétribution.
Le 20 décembre 1848, l’abolition de l’esclavage est proclamée sur ce territoire rebaptisé « Réunion » quelques moi auparavant. Plus de soixante mille esclaves sont affranchis dont notre botaniste. Il délaisse Edmond, ce prénom aux tintements de chaînes, et opte seulement pour Albius. « Non merci » lance-t-il aux marques du passé.
Par suite, la vie de l’homme se fane. La botanique a laissé place à un modeste emploi d’aide de cuisine et une sombre affaire de vol le mène vers l’incarcération durant plus de trois ans.
Tel un rappel à sa date de naissance, le mois d’août l’emportera. Dans le dénuement, Albius s’éteint dans sa ville natale de Sainte-Suzanne en 1880. Le nord-est de l’île pleure son précurseur et réhabilite sa mémoire.
Vous voulez en savoir plus ?
Savourez la vie de ce personnage injustement oublié grâce à Sophie Chérer. L’auteur retrace l’histoire d’Edmond Albius à travers le roman La vraie couleur de la vanille. Découvrez le parcours hors-norme de l’homme, une fois le statut d’esclave dépassé pour celui de citoyen à part entière dans une île en pleine mutation.