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Île Maurice
lundi, décembre 23, 2024

Exprimer pleinement sa créativité : réalité ou utopie ?

Le choix est souvent chose difficile, mais puisqu’il faut choisir, celui des femmes, plasticiennes et auteures, dont il est question dans ce numéro s’est fait par le prisme de l’actualité. La leur bien sûr. Deux plasticiennes, le jeune Céline Le Vieux et la prolifique Nirveda Alleck et deux auteures, Priya Hein et Haddiyyah Tegally, toutes deux sélectionnées cette année pour participer au Women’s Creative Mentorship Program, une émanation de l’International  Writing Program américain* parlent des valeurs qui nourrissent leur créativité et de la façon dont elle la vivent en tant que Mauriciennes.

Haddiyyah Tegally, jeune auteure sélectionnée par le programme américain Women’s Creative Mentorship Program

Haddiyahh Tegally, la vision sociétale d’une plume prometteuse

Pourquoi elle ? Elle ne saurait le dire, admet Haddiyahh Tegally avec un grand sourire. Mais reconnaît que la différence a pu se jouer sur sa réponse faite à la question de sa vision du rôle de son mentor par rapport au travail qu’elle se doit de fournir… Faisant partie des « emergent writers » mauriciens, la jeune femme de 26 ans est déjà l’auteure de deux nouvelles publiées dans « Collection Maurice » de 2017 et 2018, un recueil du genre publié chaque année. L’une, « Rave party en fumée », est la surprenante histoire relatée du point de vue de la drogue « que j’ai personnifiée », explique, rieuse, Haddiyahh, d’un jeune homme rangé se rendant à sa première soirée, une petite folie dans sa vie bien structurée. Et ce dernier va tomber amoureux fou d’une femme, qui s’avère être un agent de l’ADSU (unité anti-drogue locale)… « Mais il se rend compte être le seul éprouver des sentiments… ». La seconde « Connectés » est l’histoire d’un homme qui construit un robot pour l’offrir à sa femme, laquelle va, contre toute attente, tomber amoureuse de la machine. « Je retranscris dans mes histoires, ce qui m’intéresse, c’est-à-dire les grands faits de société et, mes nouvelles permettent, pour la première d’ouvrir le débat sur le fléau de la drogue, l’amour, la solitude, et pour la seconde, sur l’infidélité… peut-on la concevoir même avec un robot… ? », interroge malicieusement Haddiyahh. Quant à savoir quel sera le sujet de sa création au titre du Women’s Creative Mentorship Program, la jeune auteure laisse entendre qu’il s’agira de son premier roman. Cette adepte de la nouvelle, un genre impliquant une écriture intense et le plus souvent une chute abrupte car, inattendue, admet que le roman va lui demander d’aller chercher dans des pans encore inexplorés de sa créativité. « J’ai parlé à Shenaz d’une histoire qui me poursuit de-
puis longtemps… et elle m’a assuré que je tenais là la trame du livre que je m’apprête à écrire, placé entre religion et superstition
».Encore son attrait pour les trames qui font la société, un intérêt certainement issu de sa formation en sociologie. Heureuse de pouvoir vivre son rêve de petite fille, celui d’être écrivain – bien qu’elle le soit encore en devenir -, la jeune femme travaillant dans l’univers du digital et du tout connecté, pointe néanmoins une contradiction :  même si la fiction est intrinsèquement une plage de liberté formidable pour l’expression personnelle, elle reconnaît qu’elle ne pourra, à Maurice, publier certains écrits. Une forme d’auto-censure se mettant en place, naturellement, par rapport à la famille, l’entourage… « J’ai l’impression qu’il me faudra quitter l’île pour plus d’ouverture, un désir né de ma récente résidence à Portland, où j’ai côtoyé des écrivains et des éditeurs. Une expérience fabuleuse ! Outre écrire, à terme, j’aimerais partager mes connaissances et être professeur d’écriture, un métier inexistant ici ; un départ me semble incontournable pour atteindre mes rêves ».

*Deux plumes mauriciennes ont été sélectionnées pour participer à l’aventure du Women’s Creative Mentorship Program, émanation de l’IWP, (qui rassemble 16 jeunes auteurs disséminés dans le monde), sous la supervision de l’écrivaine Shenaz Patel, ayant elle-même fait cette expérience. Après un séjour de quelques jours à Portland en mars dernier, un plan de travail de 6 mois a été mis en place avec leur mentor. Il s’agit, à terme, pour les deux femmes de soumettre à l’Université de l’Iowa le fruit de leur travaux (un roman pour toutes les deux) dont des extraits seront publiés en ligne dans un recueil de morceaux choisis, dès le mois de septembre de cette année.

Priya Hein, entre Maurice et Munich, auteure sélectionnée par le Women’s Creative Mentorship Program

Priya Hein, de la littérature enfantine au roman

Jointe par téléphone car située aux abords de Munich, en Allemagne, où elle vit en famille, Priya Hein relate volontiers les raisons qui l’ont, au départ, poussée à prendre la plume, jusqu’à être remarquée et choisie par le Women’s Creative Mentorship Program. Elle a commencé à écrire pour sa fille et il en est sorti « Feno le petit dodo », chez l’éditeur français Orphie, suivi de l’abécédaire « Little Dodo’s ABC Book », chez le même éditeur, coup de cœur de la FNAC, en France. « L’idée de Feno m’est venue alors que j’étais en vacances à Maurice. Je cherchais un livre pour enfants qui raconte l’histoire de Maurice et du dodo pour ma fille, alors âgée de 3 ans. Mais je n’en ai pas trouvé. J’ai donc inventé un petit personnage ludique et très mauricien, Feno ». Auteure d’autres livres en littérature jeunesse, Priya qui écrit en anglais, allemand, français et créole a aussi publié nombre d’articles et de nouvelles. Mais en répondant au Women’s Creative Mentorship Program, elle sort de sa zone de confort… «En fait, j’ai répondu à l’appel à participation en envoyant une dizaine de pages du roman auquel j’étais déjà attelée. Il s’agit de l’histoire d’une jeune mauricienne vivant à Londres et qui en butte à de nombreuses difficultés décide de rentrer au pays pour se retrouver ». A savoir si son héroïne a emprunté quelques faits de sa propre histoire, on ne le saura pas, l’auteure choisissant le pli de la discrétion à ce propos. Il s’agit pour cette dernière d’un nouveau genre littéraire auquel elle va s’adonner les 6 prochains mois, sous les conseils avisés de Shenaz Patel. Outre, à terme, le publier sur support papier, un extrait de son livre sera diffusé dans un recueil en ligne, d’ici septembre, par l’Université d’Iowa. Une gageure pour cette maman de deux enfants, Ananya 13 ans et Kian 10 ans qui, outre ses activités d’auteure, travaille dans un centre européen scientifique et s’implique dans ses fraîches fonctions de conseillère municipale de Garching, ville limitrophe de Munich, où elle s’occupe d’intégration sociale. Celle qui rentre à Maurice au moins deux fois par an, caresse l’idée d’y revenir complètement un jour, même « si ce n’est pas pour tout de suite ». Sur la question de la libre expression de la créativité, bien que reconnaissant que l’Europe est un terrain plus favorable pour jouer de toutes les libertés, la jeune femme admet que les choses sont néanmoins allées dans le sens de la libération d’expression depuis son départ de Maurice.  

Niveda Alleck, actuellement en résidence d’artiste à la Cité Internationale des Arts à Paris

Nirveda Alleck, les valeurs humaines en figure de proue

C’est certainement l’artiste la plus exportée de Maurice, que ce soit dans le cadre d’expositions ou de résidences d’artiste. Créatrice multidisciplinaire, Nirveda vient de faire l’actualité via la récente exposition « Borderlines » (les politiques de mouvements entre les îles de l’océan Indien à l’ère post coloniale) d’avril dernier, où elle faisait partie de la trentaine d’artistes sélectionnés, ainsi que « La part de l’autre » (les multiples identités de la région indianocéanique) qui était visible à l’IFM en février-mars de cette année également. La Mauricienne se trouve, en outre, depuis début avril en résidence à la Cité internationale des Arts de Paris, un séjour créatif de six mois qui débouchera sur l’exposition du travail que ce séjour lui aura inspiré, à l’IFM, à la fin de cette année. Les valeurs humaines, l’identité, la couleur de peau, l’appartenance à un pays, une ethnie, des notions sous-tendues par une autre qui les englobe, soit le droit à la différence « qu’on a trop tendance à oublier », sont les valeurs porteuses de sa créativité. « Mon but vise à créer un déclic auprès du public, qu’il se dise, tiens tiens…». Très avant-gardiste dans son approche artistique pour le public mauricien lorsqu’elle s’est lancée après ses études d’art en Afrique du Sud et à Glasgow, en Ecosse, elle admet que sa forme d’expression l’a, du moins à ses débuts, quelque peu isolée. « Il a été très difficile d’évoluer et de progresser en tant qu’artiste seule». Décision de renouer avec l’Afrique du Sud est aussitôt prise et c’est en intégrant la mouvance artistique africaine et en revendiquant son appartenance au continent noir qui lui ont permis de se faire remarquer par les commissaires d’exposition européens. « Pareil pour la mouvance indianocéanique dans laquelle je me retrouve aussi aujourd’hui en tant qu’artiste des îles de l’océan Indien ». Le principe même de son travail (la série Continuum dédiée à chaque île de la région et au traitement similaire), vise la continuité… et pose la question de l’identité insulaire. Avant-gardiste, certes, Nirveda Alleck admet cependant qu’aborder certaines thématiques, à Maurice, peuvent heurter, car tabous, « comme la religion par exemple, un sujet que je ne traiterai pas. Mais être artiste, n’est-ce pas user de moyens détournés, de métaphores pour faire passer les messages… Le sensationnel n’est pas de mon ressort. Je n’attends pas que le public réagisse, mais qu’il s’engage », appuie t-elle.

Céline Le Vieux et Agapios qui mis aux enchères lors du prochain BeachcomBer Mauritius Ladies Open

Céline Le Vieux, la traqueuse d’éphémère

On perçoit sa toile comme s’il s’agissait d’une image, aux contours imprécis, fondus, qui se reflète dans un miroir d’eau. La patte de cette jeune plasticienne de 26 ans étonne par sa grande maturité d’exécution, à la fois délicate, sensible et puissante. Son sujet de prédilection reste par dessus tout la nature de son île… sa beauté et ses couleurs dont elle sait si bien capter les détails et les nuances par le prisme de la matière. Car l’objectif artistique de Céline vise à traquer le détail d’une lumière, d’une teinte magnifiant à l’instant T l’environnement naturel mais vouées à mourir, pour leur attribuer une part d’éternité en les fixant sur sa toile. « Au début du processus de création, mon sujet est très figuratif et il arrive un moment où cela finit par déborder, car je suis guidée par l’inspiration initiée par une lumière, une couleur… », relate la jeune artiste. Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre d’années, dit ce proverbe qui lui va comme un gant… Celle qui affectionne les grands formats n’a pas attendu très longtemps avant que la reconnaissance ne vienne frapper à sa porte. « Mais il est vrai que j’ai été non seulement bien guidée par mon entourage, mon père notamment et les personnes rencontrées ici qui ont cru en moi », argumente t-elle, toute d’humilité. En effet, une fois son Bachelor en Beaux-Arts obtenu à Paris en poche, elle rentre à Maurice, participe aussitôt à l’édition 2016 de l’exposition collective “Borderlines” et se dévoile, l’année suivante, à travers sa première exposition, Up the Boohai qui présente treize tableaux. Jouissant d’une belle visibilité en faisant partie des artistes choisis par Serge Patetta d’Adamah Fine Arts où elle a ses œuvres, Céline Le Vieux qui n’envisage en aucune façon l’expatriation, « car ma source d’inspiration est fondamentalement mauricienne, sans parler de l’attachement que je porte à ma famille », aimerait néanmoins exporter son art outremer. Et pour cela, outre avoir un agent, il existe les compétitions internationales. Elle s’est récemment inscrite à celle d’« Arte Laguna » de Venise, mais n’a pas été sélectionnée, « ce qui m’a mis un petit coup derrière la tête», admet-elle. Entière, elle n’a pas souhaité pour cette compétition forcer la chance en mettant sa nationalité italienne en avant… « Ce serait fausser les cartes, car tout ce que je peins est d’inspiration mauricienne et c’est cette identité là que je défends, ici, comme à l’extérieur », s’enthousiasme t-elle. Mais sereine, elle vise désormais la compétition américaine « New generation Art Price », à laquelle elle participera « aussitôt prête ». Talentueuse et généreuse, Céline Le Vieux rendra visible un de ses tableaux, Agapios qui associe peinture et tissage, en le mettant aux enchères lors de la soirée de gala du Beachcomber Mauritius Ladies Open qui a organisé le premier tournoi de golf féminin dans l’île. Le fruit de cette vente reviendra aux associations Link to Life et Breast Cancer Care, deux associations locales qui oeuvrent dans l’accompagnement des femmes atteintes d’un cancer du sein.

 

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