Son nom a souvent fait les gros titres de la presse. Militant contre l’implantation d’une centrale à charbon à Albion puis pour la légalisation du cannabis, Jahmeel Peerally regarde, avec inquiétude, l’évolution de la société mauricienne.
L’histoire de la famille Peerally reste marquée par les luttes sociales des années 70: “Mon père et mes oncles, se souvient-il, étaient trés engagés aux côtés du MMM et l’ont payé trés cher. Mon père a perdu son emploi et l’un de mes oncles a passé un an et demi derrière les barreaux…”
Pourtant, davantage que cet héritage familial, c’est la photographie qui va donner à Jahmeel une véritable conscience sociale. Diplomé de deux universités américaines, il complète sa formation en Inde, par un cours sur la réalisation de films. A Maurice, il commence à vendre ses premiers clichés à la presse et à réaliser des reportages pour les deux revues les plus abouties de l’époque: Rivage et Islander (le magazine de bord d’Air Mauritius). “C’est en entrant chez les gens, en les photographiant dans leur vie quotidienne, dans leur intimité, explique le photographe, que j’ai vraiment été touché par les conditions de vie de certains de nos compatriotes…”
A côté de ces travaux de commande, Jahmeel va alors réaliser des reportages plus personnels, plus impliqués, sur les habitants du village du Morne, sur la communauté rasta, avant de réaliser, en 2010, un film qui sera interdit de diffusion à Maurice “Paradis an dey”, centré sur la propagation des drogues dures. Il en retirera une conviction ferme et résolue : il faut légaliser le cannabis!
“Aucun pays, assène-t-il, ne peut se targuer d’avoir gagné la guerre contre la drogue. La stratégie du tout répressif est une impasse. Il faut légaliser le cannabis pour enrayer le trafic et, pour les drogues dures, qui sont en train de détruire la jeunesse mauricienne, il faut venir en aide aux consommateurs et ne criminaliser que l’importation et la vente. L’OMS reconnaît que l’usager de drogues dures est malade. Il faut donc le soigner, mettre en place des structures de désintoxication… et mener le combat contre les criminels qui font entrer la drogue sur notre territoire. En sanctionnant l’usager, on engrange peut-être un bénéfice politique, en faisant croire aux citoyens que l’on lutte contre la drogue, mais on ne résout rien…”
Et quand on lui objecte que la consommation de cannabis peut être une porte d’entrée vers des substances plus radicales, Jahmeel sourit: “c’est surtout l’alcool, la pauvreté, l’absence d’avenir qui mènent aux drogues dures. On a, à Maurice, des gamins de douze ou quatorze ans, qui n’ont jamais fumé de gandia, mais qui boivent et consomment des drogues chimiques!”
Les dodos et les kestrels
Mais cette analyse dérange… soumis à toutes sortes de pressions, J. Peerally sera même incarcé pendant huit jours à Alcatraz. Loin de le démobiliser cette expérience va le conduire à s’intéresser au sort des détenus. “Je partageais ma cellule avec des rats, raconte-t-il. Mais je suis sorti au bout de huit jours. La vie des détenus qui purgent de longues peines est un enfer qui n’émeut personne, ici.” Pas plus que les violences policières. Le sentiment général est assez simple: le criminel n’a aucun droit! Cette perception révolte Jahmeel, qui tente de mobiliser la population, notamment lorsqu’un détenu meurt en cellule, dans des circonstances suspectes… Mais le militant le reconnaît, il est aujourd’hui fatigué de lutter sans parvenir à générer une vraie prise de conscience… “Ce peuple est l’héritier du dodo, dit-il, dans une plaisanterie douce-amère. Nous sommes quelques-uns à essayer d’être des kestrels, mais l’immense majorité des Mauriciens sont des dodos… Ils sont prêts à tout endurer plutôt que de mettre en danger leur petit confort… Sur FaceBook, ils sont des tigres. Ils rugissent… mais dans la vraie vie, ils ne sont prêts à se battre pour aucune cause. La drogue tue nos jeunes: ils ne bougent pas. Nos prisons sont indignes du pays moderne que nous voulons être: ça ne les concerne pas… J’ai fait ma part. Aujourd’hui, je veux juste profiter de ma famille. Mon épouse et mes trois fils ont souffert de toutes les pressions qui s’exerçaient sur nous pendant toutes ces années et des risques que je prenais. Je n’ai plus envie de les mettre en danger.”