Niçois d’origine, Joseph Cardella vit à Maurice depuis près de vingt ans. Professeur de philosophie au Lycée des Mascareignes, il a importé sur notre île deux nouvelles façons de transmettre le savoir: les cafés-philo et l’Université populaire. Pour La Gazette, il a accepté de faire le point sur ces expériences innovantes…
«Notre société, regrette Joseph Cardella, réduit tout à l’état de marchandise. Le savoir, la connaissance, sont devenus payants. Rien ne se donne.
Cette situation écarte, de fait, des lieux de diffusion du savoir, les personnes qui n’ont pas les capacités financières nécessaires. Heureusement, un peu partout dans le monde, il existe des gens qui se mobilisent pour redonner un accès gratuit au savoir, à la connaissance…» Sur sa côte d’Azur natale, Joseph, encore étudiant, a ainsi vu fleurir les initiatives visant au «partage des connaissances». Mais lorsqu’il arrive à Maurice, sa maîtrise de philosophie en poche, Joseph constate vite que rien n’est prévu, ici, pour démocratiser un savoir académique souvent perçu comme une arme, un pouvoir…
Et puisque la philosophie n’est pas enseignée dans le système scolaire mauricien, c’est d’abord par là qu’il va initier sa démarche, en créant les «cafés-philo». «Je n’ai pas inventé le concept, précise-t-il, mais il m’a paru important de mettre ça en place ici. Le principe des cafés-philo permettait de rencontrer le public dans une ambiance décontractée, informelle… pour rendre la philo moins intimidante.» Et le succès sera vite au rendez-vous, puisque chaque nouvelle session générera un vrai débat. «Les échanges étaient inégaux… parfois d’un très bon niveau conceptuel, d’autres fois plus ancrés dans le quotidien ou marqués par une certaine spiritualité…mais toujours sincères.» La réputation de ces rencontres attirera vite quelques personnalités marquantes. Et c’est ainsi que Joseph Cardella put, à l’issue de l’un de ces échanges philosophiques, présenter à l’ancien ministre de l’Education James Burty David (décédé, depuis) un projet qui lui tenait à cœur: la création d’une «université populaire»…c’est-à-dire un lieu où des universitaires, des professionnels et des spécialistes viendraient, bénévolement, dispenser des cours gratuits et ouverts à tous!
Promouvoir l’esprit critique
Séduit par ce concept, le politicien appuya le projet et recommanda le jeune philosophe auprès du Lord maire de Port-Louis, Reza Issack. C’est ainsi qu’en un temps record, et avec l’aide de trois amis enseignants, Joseph Cardella put annoncer l’ouverture de la première saison de l’Université Populaire de l’Ile Maurice (UPIM), pour octobre 2007. «Nous n’avons eu de problèmes qu’avec l’Université de Réduit, se souvient Joseph. Dans un premier temps, elle s’opposait à ce que nous puissions employer le mot ‘université’. Puis, elle a interdit à ses enseignants de donner des cours payants ailleurs qu’au Réduit… Ils n’avaient pas compris que nous étions tous bénévoles!»
La session inaugurale, à la municipalité de Port-Louis, est un événement majeur, auquel assiste une foule incroyablement nombreuse! Dès la première année, l’UPIM propose des cours aussi variés que la philosophie, la psychologie, l’histoire, la littérature, le journalisme et les sciences-physiques. S’y ajouteront le cinéma, l’histoire de l’art, la sociologie, la géopolitique… etc, ainsi que des conférences ponctuelles sur le développement durable, par exemple, et des rencontres avec des personnalités de passage. De 2007 à 2015, l’UPIM a ainsi permis à des centaines de Mauriciens de s’ouvrir à de nouveaux savoirs ou d’approfondir leurs connaissances. «Mais au-delà du partage des connaissances, explique J. Cardella, nous avions défini une ligne de conduite fondamentale à laquelle devaient adhérer tous nos intervenants: l’UPIM devait promouvoir l’esprit critique. Parce que le seul savoir utile à la société est un savoir critique!»
Un concept pas totalement assoupi
Victime de son succès, l’UPIM s’est élargie, dispersée géographiquement… et s’est peu à peu épuisée. «C’était très lourd pour les intervenants. Et puis, c’est triste à dire, mais parce que nous ne délivrions aucun diplôme, avec le temps, le public s’est clairsemé. Alors, peu à peu, il y a eu moins de sujets abordés, et l’UPIM s’est endormie… »
Pas tout à fait, pourtant, puisqu’avec l’Institut Français de Maurice, l’UPIM organise régulièrement des «cafés-débats». Le dernier en date, très animé, revenait, au mois de mars dernier, sur les cinquante premières années de l’Ile Maurice indépendante…