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Île Maurice
mardi, décembre 24, 2024

La sexologue Zoë Rozar nous éclaire

Lorsque je l’interviewe, Zoë rentre d’une retraite intensive de 4 semaines et demie à l’étranger, sur l’éveil à la jalousie, la fierté, la colère, l’aversion, l’ignorance, le sommeil, la nutrition, entre autres ! Je peine à imaginer l’énergie nécessaire pour enregistrer et dompter autant d’éléments, mais je comprends vite que la détermination, Zoë en a à revendre !

Avec enthousiasme, elle se prête à mon questions-réponses.

Quel a été votre cursus diplômant en sexologie ?

J’ai étudié et fait mes supervisions avec le docteur Patti Britton (l’une des pionnières américaines en sexologie) et son équipe, à l’université de Santa Clara en Californie. J’ai eu mon diplôme en juin 2020, après un cursus très complet de trois ans qui comprenait la sexologie, bien sûr, mais aussi le coaching, la communication, la gestion d’ateliers, etc. Actuellement en doctorat en sexologie clinique à l’institut international de ladite discipline en Floride, je suis dans le 1e semestre d’un long parcours et espère finir dans trois ans !

Qu’est-ce que la sexologie clinique ?

Elle est là pour aider un individu à avancer face à une problématique de bien-être sexuel. C’est donc une approche personnalisée, une éducation cognitive redirigée vers des faits scientifiques, un recadrage des connaissances apprises, un accompagnement coactif, un partage de ressources… et des références à d’autres spécialistes et collègues. Quand je ne sais pas quoi faire, ou que je sais que je ne suis pas la bonne personne pour aider, je redirige le patient.

Êtes-vous toujours la seule sexologue à Maurice ?

Je suis sûre que non, mais moi, je me rends visible ! Alors, pour le moment, j’ai envie de vous répondre oui, même si je pense que certains étudiants seront bientôt diplômés. À Maurice, il y a aussi des éducateurs sexuels à travers le diocèse, dans les écoles… J’aurais tant aimé une rencontre avec tous ces acteurs, pour légitimer ce domaine et en faire quelque chose de clair pour tout le monde, parce qu’il me semble qu’il y a des charlatans ! Mais je ne veux pas être celle qui organise. Un agent neutre serait intéressant… c’est donc à réfléchir !

Votre patientèle est-elle en progression ? Se compose-t-elle majoritairement de couples, ou bien d’hommes et de femmes venant individuellement ?

Oui, elle est en progression et il y a une balance entre les deux patientèles. Généralement, pour les couples, l’un des deux partenaires vient me voir seul, me pose des questions en pensant qu’il peut aider son couple sans que son conjoint sache qu’il me parle. C’est là que je les incite à aller de l’avant, ensemble.

C’est quoi le bien-être sexuel ? En quoi est-il lié au bien-être physique et mental ?

Les émotions ! La sensation des émotions et la capacité à pouvoir ressentir sans fuir ! À pouvoir donner et recevoir sans fuir. À pouvoir demander sans honte et sans gêne. À ne pas être intimidé par quelqu’un qui est dans le contrôle. Notre bien-être sexuel est déterminé par la façon dont on nous a enseigné le plaisir et le sexe. Notre activité sexuelle doit s’inscrire dans une dynamique de partage. Je veux dire de manière à ce qu’on soit à l’aise dans une expression sexuelle avec soi-même et dans le partage avec un autre ou d’autres.

Vous dites que « la majorité des Mauriciens, en suivant les règles sociales et les non-dits, ne se connaissent pas sexuellement… et sont dans la misère ». Pouvez-vous développer ?

Mon point de vue est qu’on est dans l’objectification des corps. Il s’agit de la façon dont on nous apprend à être dans la compétition, dont on nous conditionne à comprendre le rôle des genres. Il n’existe aucune éducation sexuelle basée sur les émotions. Ici, on parle de la grossesse, des modes de contraception et des maladies et infections sexuellement transmissibles. Rien sur le plaisir, rien sur les relations ! 90% de ceux qui sont venus me voir n’ont reçu aucune éducation. Alors, on reste perdu, on ne comprend pas et on fait comme les autres… mais les autres sont tout aussi perdus ! L’enfant qui dépend de ses parents, de ceux qui prennent soin de lui et représentent son exemple, sera comme eux et prendra leurs habitudes ! Cela se ressentira ensuite dans le secteur de l’intimité, la tendresse, l’affection… ou la façon de se dire bonjour, au revoir, de traiter les uns et les autres !

Comment aide-t-on à faire comprendre que « pratiquer » n’équivaut pas à « être satisfait » et que l’orgasme n’est pas la finalité d’un acte sexuel ?

Ce n’est pas la même approche pour tout le monde. Le voyage vers la paix sexuelle et le désir est différent d’une personne à l’autre. Son passé, sa culture, son éducation, son environnement familial… m’indiquent comment aider chaque individu à prendre le plaisir au-delà d’un assouvissement de stress. Quand l’orgasme est associé à un relâchement, un apaisement, c’est clair qu’on y court, plutôt que de rester dans le moment avec soi ou avec l’autre.

« Le chantier du bien-être sexuel à Maurice est encore plein de crevasses ! »

Pensez-vous que des actions, solutions, peuvent être engagées par des institutions (médicales, scolaires…) indépendamment des consultations auprès des sexologues ?

Le sexologue n’est pas que le consultant ! Il peut aider à la construction de programmes, il peut former des enseignants… Oui, ça serait une très bonne idée ! Écrire des articles dans des magazines sérieux pourrait aussi être utile ! Comme je le fais avec vous, d’ailleurs, car vos questions sont fortes ! Mais il faut aussi que les dirigeants au niveau du ministère de l’éducation y voient une valeur et donnent la permission. C’est un chemin de croix qui ne peut se faire seul !

Le code criminel de Maurice voit le sexe – et tout ce qui y est lié – comme obscène. Sans ça, j’aurais pu prescrire des prothèses sexuelles à ceux qui en ont besoin ! Les instances légales n’ont même pas clairement défini ce qu’est l’obscénité, et la pénétration par voie anal est encore illégale ! Le Collectif Arc-en-Ciel (CAEC) fait de son mieux pour changer ce statut et j’espère que bientôt on aura cette conversation au parlement ! De plus, il n’y a ici aucun psychiatre qui peut faire le suivi des pédophiles et des enfants qui ont été abusés.

Le chantier du bien-être sexuel à Maurice est encore plein de crevasses !

Article 86 du Code criminel mauricien :
https://attorneygeneral.govmu.org/Documents/Laws%20of%20Mauritius/AZ%20Acts/C/Cr/CRIMINAL%20CODE%20(SUPPLEMENTARY)%20ACT,%20Cap%20196.pdf

L’éducation sexuelle a-t-elle fait partie de votre formation initiale en sexologie ou s’est-elle introduite dans votre pratique en raison des besoins d’information dans la société mauricienne ?

J’ai des clients en Amérique et en Europe, donc je ne suis pas là uniquement pour les Mauriciens. Mon éducation sexuelle a été faite par le professeur de biologie du lycée Labourdonnais, donc je ne suis pas un exemple local. Mais là encore, il n’y avait pas grand-chose sur le plaisir. On entendait : « Faites attention, ça peut être sale ! Faites attention, être parent à un jeune âge est fortement déconseillé ! » Le message ne favorise pas le bien-être ! On reste dans l’abstinence, le dégoût et la peur !

Le concept a été plus présent dans ma formation en sexologie. Elle comprenait les notions d’anatomie et neurologie, l’encadrement de l’individu et du couple, un processus d’analyse et de mise en œuvre d’un programme qui soutient les souhaits de tout un chacun, ainsi que des sessions de supervision intenses.

Peut-on assimiler vos consultations à une thérapie ?

Au vu de la définition du terme (traitement médical en général, et en particulier psychothérapie), non !

Je travaille avec les médecins pour tout ce qui est physiologique. Si la personne est bloquée dans le « pourquoi ma vie, pourquoi moi », j’en réfère à un psychologue ou un psychothérapeute. Le sexologue clinique fait un diagnostic du bien-être général de la personne et reste dans le « comment fait-on pour avancer dès maintenant vers le bien-être, par des actions concrètes ? » Ces activités dénouent « le pourquoi » de toutes les façons. Je ne prescris aucun médicament et on nous a démontré que cela ne devait jamais être le premier recours.

Pensez-vous alors que le stress émotionnel, les blocages inhérents à la sexualité des couples, peuvent aussi être réglés auprès d’autres praticiens (gynécologues, psychologues, etc.) ?

À moins que le praticien ait une formation en sexologie ou en sexologie clinique, non ! Nous sommes complémentaires, mais nous n’avons pas tous les mêmes compétences d’écoute et de mise en œuvre.

Avez-vous reçu des futurs mariés inquiets quant à leur nuit de noces, venus chercher des conseils ou renseignements ?

Euh… la virginité avant le mariage est rare à Maurice ! L’entreprise Durex a réalisé une étude locale qui a montré qu’ici l’activité sexuelle commence très jeune. Par contre, j’ai eu des couples, de toutes orientations sexuelles, qui m’ont sollicitée pour une aide à leur épanouissement, pour garder le cœur ouvert, la communication ouverte, le contact des corps ouverts l’un pour l’autre… tout au long de leur mariage. Il faut savoir que tout change tout le temps. Donc, au-delà de la nuit de noces, il est plutôt question d’approches pour rester heureux ensemble et dans le voyage vers la mort.

Vous dites que l’acte sexuel est non seulement un acte d’amour mais une « sensation vitale » dont il faut jouir absolument ! Comment parvenez-vous à faire passer ce message auprès des Mauriciens ?

Ce n’est pas gagné ! Ha ha ha… Jouir, c’est prendre du plaisir, ce n’est pas que l’orgasme ! Et quand je dis jouir, je parle aussi d’être émerveillé par tout ce que la vie peut offrir ! Mon message, je le passe en petits groupes, en ligne, en live et en one to one. Chaque goutte d’eau compte !

« Restez à votre écoute, ne doutez pas ! »

Un message aux couples lecteurs de La Gazette Mag, dont le thème ce mois-ci est le mariage ?

Garder le cœur ouvert l’un pour l’autre n’est pas toujours simple, mais avec la volonté de finir sa vie avec l’autre (mourir ensemble), un chemin peut toujours se faire.

Regardez-vous en face dans un miroir et faites l’état des insécurités émotionnelles qui vous habitent aujourd’hui, qui vous empêchent de ressentir et partager votre corps avec plaisir, de parler sans gêne. Oui, parfois nous avons un partenaire qui est loin de pouvoir entendre et qui réagit avec colère, déni ou avec des détournements de mots qui mettent le doute dans l’esprit. Mais restez à votre écoute, ne doutez pas !

Le couple n’est pas l’union de deux univers, il est trois entités ! L’univers de l’un, l’univers de l’autre et l’univers qui est bâti à deux. Ce dernier n’est pas nécessairement relié à l’une des deux premières entités. Il est l’espace qui vous donne envie de mourir ensemble. Se marier n’est pas pour vivre ensemble, mais plutôt le choix de faire un bout de chemin, unis vers la mort ! Cette vie, cette mort… il n’y a aucune possibilité de les mettre sur pause ou de revivre et corriger le passé. Alors, croquez la vie à pleines dents et sachez qu’une fois qu’elle est admise dans le dialogue, la peur ne reste qu’un instant !

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