Les journées du Patrimoine fournissent l’occasion de découvrir quelques-uns des plus beaux vestiges du riche passé de notre île. Une opportunité d’autant plus précieuse, que bon nombre des bâtiments les plus intéressants sont privés, et donc difficilement accessibles le reste de l’année. Le « Château » de Riche en Eau fait partie de ces joyaux. Et si « l’habitation » reste, quoiqu’il arrive, close aux visiteurs, la découverte du parc justifie déjà largement le déplacement…
Propriété de la Compagnie de Beau-Vallon Limited (CBVL), le château de Riche en Eau a su se faire discret. De la route ombragée qui longe la propriété, n’est visible qu’un mur de pierres moussues. Dans le village, bien sûr, tout le monde connaît « le château », et d’abord parce que l’usine sucrière et «l’établissement» ont toujours été les plus gros employeurs des environs. Dans la plupart des familles du coin, génération après génération, on a travaillé pour Beau Vallon, à l’usine, dans les champs… ou au Château. Aujourd’hui, l’activité de la sucrerie est réduite. Les planteurs des environs viennent encore y faire peser et décharger leurs cannes, mais elles seront broyées ailleurs… La politique de rationalisation et de concentration est passée par là. Le « camp » sucrier a, quant à lui, quasiment disparu: ses occupants ont souscrit au V.R.S., un régime de départ volontaire à la retraite, assorti de l’octroi d’un lopin de terre…
On ne s’appelle pas « Riche en Eau » pour rien !
Bien sûr, le hameau est moins actif qu’auparavant, mais on y vit encore à l’ombre de la compagnie de Beau Vallon. Alors, forcément, ce château, c’est un peu celui de chaque habitant…On en est fier. D’autant que le patelin est parfois regardé avec un certain dédain…C’est vrai que cette belle région rurale n’a pas les attraits des zones « développées » de l’île. Pas de grand complexe commercial, d’hôtels luxueux, de discothèques agitées… et le climat ne contribue pas à redorer le blason du bourg : on ne s’appelle pas « Riche en Eau » pour rien ! Il pleut pratiquement tous les jours ! Et, du coup, tout est vert!
D’ailleurs, quand s’ouvre lentement le lourd portail électrique de la propriété et que l’on s’avance sur la longue allée cendrée, on est d’abord frappé par ce vert omniprésent et offrant tant de nuances.
Mais l’œil est vite happé par « le Château ». Le terme semble un peu abusif… Il s’agit d’une belle bâtisse coloniale, haussée sur un terre-plein et cernée d’une belle varangue. C’est vaste, imposant, sans doute spacieux, plutôt harmonieux…mais de là à parler d’un château! C’est que la construction qui se dresse aujourd’hui sur le site de Riche en Eau, a été transportée jusque-là, depuis Plaisance, il y a presque cent trente ans… et qu’un étage a disparu dans ce déplacement! Même si cela ne choque pas au premier abord, les piliers de la varangue dénotent aussi un peu: ils sont en béton. Ils étaient, initialement, en bois, d’une essence noble (sans doute du teck), mais le cyclone Carol les a tellement endommagés, en 1960, qu’il a été jugé plus sage de les remplacer par un matériau réputé plus résistant.
Mais cette vaste demeure conservera ses secrets : réservée à un usage privé, elle restera irrémédiablement close, y compris lors de ces Journées du Patrimoine.
Dessiné dans l’esprit de l’harmonie « à la française »
Ayant abandonné l’espoir, déraisonnable, de voir s’entrouvrir les portes du Château, on peut alors donner toute l’attention qu’il mérite au parc… qui, lui, se visite! Et quel parc! Ouvert sur de larges perspectives et dessiné avec un souci évident de mettre en scène une certaine solennité, il a été dessiné dans l’esprit de l’harmonie « à la française ». Ici, pas de ces « jungles » désordonnées ou de ces bosquets touffus si chers aux grands jardiniers anglais, ni de ruines romantiques, mais une organisation précise, stricte et sophistiquée. On imagine sans peine la forte impression que pouvait provoquer un tel agencement, il y a un siècle, sur les ouvriers, les serviteurs…et même les invités occasionnels.
Chaque espace est organisé, planté, taillé, de façon autonome, avec des limites claires. L’ensemble ouvre de très larges espaces qui écrasent un peu le visiteur et mettent en évidence la surface impressionnante de l’ensemble.
Pourtant, dans cette organisation rigoureuse, presque austère, quelques petits îlots d’intimité surprennent le regard. C’est, par exemple, entre deux vasques blanches, un petit banc de pierre, sur lequel on imagine qu’ont pu être échangés d’ardents serments d’amour…
Redécouvrir le savoir-faire de nos anciens
Un peu à l’écart et bordé de grands arbres non taillés, qui contribuent à donner l’impression que l’on n’est plus dans le même parc, dans la même dimension de représentation sociale, un vaste bassin, ancêtre de nos tristes piscines artificielles…
Face aux écuries, un pigeonnier étonne. Il n’y a rien de vraiment surprenant à trouver un édifice de cette nature sur un domaine de cette époque, mais c’est sa construction qui intrigue… épais et voûté, il évoque fortement l’architecture des fortifications militaires du XVIIIème siècle. Il ressemble aux poudrières de l’époque, ces magasins où étaient entreposés les boulets et les barils de poudre à canon, et dont le toit était vouté pour absorber, autant que possible, l’onde de choc d’une éventuelle explosion… Mais ici, cette technique sert sans doute à protéger les volatiles de la chaleur: sous la voute épaisse des arcs de pierres, dans un pigeonnier seulement ouvert de quelques fentes par où se glissaient les oiseaux, la température devait rester à peu près constante et ne jamais monter très haut. Le savoir-faire de nos anciens, trop souvent oublié, mérite d’être redécouvert et sauvegardé.
A sa façon, le Château de Riche en Eau participe à cette transmission et à cette sauvegarde. Le parc n’a pas été morcelé et son dessin n’a pas été modernisé. Le visiter c’est donc, pour quelques heures, avoir le privilège, de contempler un vestige authentique et intact d’un aspect du passé de notre île. C’est de plus en plus rare!
Histoire d’une demeure familiale
- En 1768, François Jérôme Robert de Rochecouste, originaire de la Saintonge, une ancienne province de France, vient s’établir à l’Isle de France sur un navire de la Compagnie des Indes. Il s’installe d’abord dans le Nord de l’île, avant d’obtenir une concession de 937 arpents en 1771 à Beau Vallon.
- En octobre 1859, Beau Vallon est la proie d’un incendie et l’habitation de la famille de Rochecouste est réduite en cendres.
- En 1890, la famille de Rochecouste rachète la maison construite en 1870 par la famille de Bissy, à Plaisance, sur l’emplacement de l’aéroport. Elle fait démonter le château et le fait reconstruire à son emplacement actuel, à Riche en Eau. La maison comptait un étage mais elle l’a perdu à la suite de sa reconstruction. Il a été remplacé par un soubassement en pierres de taille. La première sucrerie de Riche en Eau se trouvait dans les jardins de l’actuel château. Elle n’a pas fonctionné très longtemps et a été déplacée pour permettre la construction du château.
- Les colonnes sous la varangue étaient à l’origine en teck massif. Le bois provenait d’un naufrage sur les récifs un peu plus loin, d’un bateau qui faisait route au large de l’île avec une cargaison de teck en provenance d’Asie. Ces colonnes qui avaient survécu au naufrage n’ont pas résisté au cyclone Carol qui les a détruites en 1960.
- Les jardins du château sont ouverts au public deux fois l’an: le 12 mars pour la fête nationale et le deuxième dimanche de septembre à l’occasion des journées du patrimoine.
- Le château a été sous les feux des projecteurs lors du tournage de la série Paul et Virginie, dans les années 70.
- Dans les mois à venir, les « dépendances » du château, et principalement les écuries et une partie du parc, seront accessibles à la location pour l’organisation d’événements et de « fonctions ».
- Le Château de Riche en Eau est la demeure de ce type occupée depuis le plus longtemps par une seule et même famille. En effet, elle est toujours utilisée par les descendants de François Jérôme Robert de Rochecouste, comme lieu de villégiature…
La visite du Parc et cet article ont pu être réalisés avec l’accord de la compagnie de Beau Vallon, et avec l’aide de Sandrine Travailleur et Jérôme Castelain.