Quelle typologie de patients recevez-vous au sein du service ODHIR ?
La majorité des consultations concernent le diabète, alors que plus de la moitié de notre population est en surpoids ou obèse.
Actuellement, la prise en charge des patients est souvent axée sur les médicaments, sans optimisation de la diététique ni de l’activité physique adaptée. Ces aspects sont abordés lors de conférences, mais l’optimisation nutritionnelle fait souvent défaut en raison d’un manque de maîtrise des connaissances scientifiques. Je rencontre des patients avec une multitude de traitements (au moins deux à trois médicaments pour le diabète et autant pour l’hypertension et le cholestérol élevé), sans amélioration de leurs paramètres de suivi pour les ODHIR et sans qu’ils aient reçu de prescription personnalisée pour leur alimentation !
Selon vous, justement, le changement d’alimentation contribue-t-il réellement à la diminution des cas de diabète ?
« Que ton alimentation soit ta meilleure médecine », disait Hippocrate.
Comme le soulignait le professeur Philippe Froguel, il est important de bien manger. Malheureusement, certaines équipes internationales ont importé des protocoles sans évaluer ce qui existe à Maurice et sans corriger les erreurs diététiques. Il serait bénéfique de revoir nos habitudes alimentaires et d’adopter des préparations plus saines. Sans la science et les études sur les modes de préparation des aliments, nous ne progresserons pas ! Le riz est l’aliment le plus consommé à Maurice et dans la zone de la COI. Pourtant, personne ne sait vraiment comment le cuisiner de la meilleure façon ni quelle qualité de riz choisir. Je n’ai pas observé de différence significative entre le riz blanc, brun, cuit dans un rice-cooker ou au micro-onde, ou « versé » grâce au CGM (monitoring continu de la glycémie). Le riz chaud, refroidi puis réchauffé n’a pas le même impact sur la charge glycémique. Mélanger d’autres aliments comme les légumineuses (grains secs) et autres sources de glucides peut être utile pour optimiser la charge glycémique sans que le patient le ressente comme une contrainte.
Nous avons tendance à remplacer par le pain d’autres sources de glucides, mais qu’il s’agisse de farine blanche ou complète, la charge glycémique des pains reste élevée. Le manque d’études sérieuses sur les modes de cuisson et de préparation des aliments rend les conseils diététiques incertains. Nous allons entreprendre une étude sur ces méthodes de préparation et publier un ouvrage à l’attention des professionnels de santé et du grand public. Cela va bien au-delà de nos frontières.
Nous avons lancé des études observationnelles sur l’alimentation et ses effets sur les paramètres de santé, pour chercher à optimiser les repas en nous basant sur des données scientifiques plutôt que sur des idées reçues concernant ce qui est bon ou mauvais pour la santé ! Je suis étonné de constater que les modes influencent grandement notre façon de nous nourrir, ce qui m’amène à appeler cela le « syndrome de mon petit doigt m’a dit ». Tout le monde prétend savoir beaucoup de choses, mais sans véritable base scientifique ni vérité. Je suis également surpris de voir des personnes dépenser beaucoup d’argent pour des produits de toutes sortes, comme des graines ou des boissons dignes d’astronautes ! Nous devons rationaliser et disposer de références pour les professionnels de santé, afin d’offrir des repas mieux adaptés à notre région de la Commission de l’Océan Indien (COI). Tout cela doit reposer sur la science et l’innovation.
Nous assistons à une banalisation de la prise alimentaire. La vitesse à laquelle les gens mangent à Maurice est impressionnante, on dirait des TGV ! Le signal de satiété requiert au moins 30 minutes. En conséquence, les patients mangent trop vite, vont s’arrêter à la plénitude et consomment environ 30 % de calories en plus de leurs besoins.
Les changements dans la composition de nos repas, la popularité des fast-foods et des plats préparés, bien que savoureux, ne correspondent pas du tout aux recommandations diététiques. Ils ont pris la place de repas festifs ou d’exception. Ces changements alimentaires peuvent perturber nos microbiotes. Des études sont en cours à Maurice et à La Réunion pour analyser la flore intestinale des personnes diabétiques et obèses.
Quid de la pratique d’activités physiques ?
Le premier défi chez nos patients est de lutter contre la sédentarité. Plutôt que de regarder la télévision, affalé dans un fauteuil, il vaudrait mieux s’asseoir sur une chaise. Il est recommandé de limiter le temps d’écran à moins de 2 heures par jour et de ne pas manger ou grignoter pendant les moments où l’on n’est pas concentré sur la prise alimentaire.
Quand on parle d’activité physique, les patients ont tendance à se munir de shorts, de t-shirts et de baskets. Il n’y a pas d’évaluation des capacités physiques des sujets et ils se lancent souvent dans des programmes inadaptés, parfois même avec des coachs. Cela représente un danger, surtout si le patient n’a pas fait de bilan de santé incluant des analyses biologiques et radiologiques. Je n’ai jamais vu autant de cas de stéatose hépatique « fatty liver » dans ma carrière qu’à Maurice ! Il est essentiel de joindre l’activité proposée dans ces cas et d‘assurer un suivi attentif, pour obtenir des résultats satisfaisants. En revanche, pour les personnes en bonne santé, une activité physique régulière est essentielle pour prévenir les maladies métaboliques. Il est recommandé de faire au moins 4400 pas par jour, trois fois par semaine, avec une bonne répartition. On peut aussi faire d’autres activités – natation ou vélo – où l’on dépense plus de calories pour une intensité comparable. Il est même possible de faire de l’exercice sans acheter d’équipement, en improvisant avec des objets du quotidien comme des manches à balai ou des bouteilles en plastique remplies de sable à la place des haltères. Il faut rester créatif sans se faire mal ni aggraver sa condition physique.
Parlez-nous de la branche « Recherche », bientôt en place ?
La recherche débutera après l’obtention des autorisations et conformités légales nécessaires : CPP, Data Protection Act, etc. Elle vise à mettre en pratique les connaissances acquises au bénéfice des populations de la zone de la COI. Forts de notre expérience passée sur différents territoires du sud-ouest de l’océan Indien, nous collaborerons avec d’autres équipes pour envisager différentes approches en fonction des composantes de la population mauricienne. Nous devrons nous inspirer davantage des études menées sur des populations similaires à la nôtre, telles que celles de Singapour, d’Asie et d’Inde.
Quels sont les deux gènes identifiés par le professeur Froguel au sein de la population mauricienne ? En quoi la découverte ouvre-t-elle de futurs diagnostics de pointe ?
Le professeur Philippe Froguel a révélé l’identification de deux gènes et un troisième a été isolé. En ce qui concerne les diagnostics, l’une des mutations du gène entraîne une maladie rénale ; elle serait décrite pour la première fois au monde ! Dans ce contexte, malgré son diabète, le patient n’a pas développé d’insuffisance rénale. Nous agissons en prévention et cherchons à maintenir un bon équilibre de sa maladie. Un suivi régulier par un néphrologue est mis en place pour prévenir toute détérioration de sa fonction rénale. Bien sûr, son régime alimentaire sera surveillé attentivement en ce qui concerne l’apport en sodium et en glucose. Il sera suivi par mon service pour sa nutrition.
Le deuxième gène semble être responsable d’arrêts cardiaques soudains, en raison d’une anomalie du canal potassique. Ce gène a déjà été identifié dans ce type de pathologie. Il est important d’éviter certains médicaments à risques qui pourraient aggraver l’état de santé du patient, une liste lui a été fournie. Des examens sont en cours pour évaluer le risque de complications cardiaques graves et envisager un traitement médicamenteux plus adapté, voire la pose d’un défibrillateur.
Le troisième gène touche une protéine qui semble être liée à des cancers du sein chez les femmes et de la prostate chez les hommes. La patiente qui porte cette mutation est suivie par des spécialistes en oncogénétique selon un protocole précis. À noter que l’actrice Angelina Jolie est porteuse d’une mutation génétique liée au cancer du sein et a choisi de subir une mastectomie préventive. Il semblerait que ce gène identifié soit aussi préoccupant que celui porté par l’actrice.
Ces découvertes posent les bases de la médecine de précision. Elles ouvrent la voie à une approche de la médecine 4P : précise, personnalisée, préventive et prédictive. En ce qui concerne les maladies rénales, cela représente certainement une avancée pour prendre en charge les patients bien avant que leurs reins ne se détériorent. Pour ce qui est du gène lié au cancer du sein, des ablations préventives peuvent être envisagées, avant que la forme grave de la maladie ne se développe. Dans notre cas, la patiente a la trentaine et plusieurs femmes de sa famille ont été touchées.
Concrètement, comment peut-on prévenir les complications liées au diabète ?
Les complications liées aux maladies ODHIR sont bien connues, mais on ne sait pas toujours quand et chez qui elles vont se produire. Le diagnostic génomique nous permettra d’aborder le problème dès le départ et de mieux cibler les risques encourus, ce qui nous permettra de prévenir activement et de renforcer les suivis spécifiques. À La Réunion, nous avons développé des projets et formé notre personnel pour offrir les meilleurs soins possibles, notamment en ce qui concerne la prévention de la cécité et des amputations.
Sachez qu’à Maurice, environ 700 amputations sont réalisées chaque année et touchent environ 525 personnes, tandis qu’à La Réunion, nous amputons en moyenne 170 patients par an, et cela nous semble déjà beaucoup… Abandonner reviendrait à dire que la valeur des pieds ne serait pas la même selon l’île sœur concernée… Tous ces dommages aux pieds sont évitables à condition que nous puissions diagnostiquer et évaluer correctement les patients. Cependant, le processus actuel est répétitif et les paramètres de suivi ne sont pas toujours les meilleurs pour évaluer les risques de lésions. Il sera nécessaire de mener des études et de proposer des solutions mieux adaptées à nos populations (COI), car les habitants de nos îles ne sont pas tous semblables aux Américains et aux Européens.
Comment inciter au dépistage précoce ? Quel en est concrètement le procédé ?
En ce qui concerne les maladies ODHIR, il y a souvent un contexte familial et les personnes en souffrent sur plusieurs générations ! Ce contexte joue un rôle crucial dans la compréhension des risques encourus. Lors d’un prélèvement salivaire, l’ADN est extrait et ensuite analysé par séquençage à haut débit. On utilise une collection de gènes déjà connus dans le domaine de ces maladies et on recherche d’éventuelles mutations. Cela permet d’établir un diagnostic et les éventuelles complications. Cette procédure nécessite une ordonnance médicale et le consentement du patient ou de son tuteur légal.
En conclusion…
Soyons réalistes, les maladies métaboliques comme les ODHIR sont difficiles à traiter. Il est primordial de tout mettre en œuvre pour prévenir leur apparition ! Les Mauriciens se retrouvent dans le trio de tête du classement mondial en matière de diabète, après l’Arabie Saoudite et les Émirats ! Nous devons (et allons) changer notre approche de ces maladies handicapantes qui occasionnent de grandes dépenses, touchent une population plus jeune (trentenaire) et entament l’espérance et la qualité de vie.