« C’est l’histoire d’un bourgeois du royaume de Hongrie – Polonais de cœur toutefois -, évadé d’un camp sibérien et détaché à Madagascar afin d’établir un comptoir commercial au profit de la France. » Tel serait un succinct résumé de la vie pittoresque d’un homme hors du commun du nom de Maurice Auguste Beniowski. Ce grand blond aux yeux d’océan en vogue sur la fin du XVIIIème siècle d’un continent à l’autre.
Messieurs-dames les globe- trotters, munissez-vous de vos meilleures plumes, l’encrier plein d’écumes nous embarquons!
Auguste Beniowski, baron de son état, fut tantôt aventurier, tantôt commerçant. Né en Septembre 1746 pour les uns ou 1741 pour les autres, si les avis divergent son talent, lui, est unanimement reconnu. Engagé aux côtés de la Pologne, il combattit les ennemis russes avec une ardeur remarquable au point de gravir les galons jusqu’à celui de général. Malgré ses talents de militaire, Beniowski trouva l’infortune sur le champ de bataille de Cracovie. Lui le fer de lance se voit capturé et déporté par les cosaques. Il est envoyé bien loin de ses racines, dans la contrée la plus orientale de la Russie, le Kamtchatka. Steppes, ours et froid polaire sont alors ses compagnons de détention dans cette péninsule au nord du Japon. Néanmoins, la dureté de la Sibérie est compensée par le rôle de précepteur que doit jouer Beniowski auprès de la fille du gouverneur au prénom angélique d’Aphanasie.
En amour avec la fille du geôlier
Au delà de la culture du savoir, une idylle s’instaure entre les deux protagonistes. La fille du geôlier, alors entichée d’un prisonnier, conspire dans l’espoir de s’évader en sa compagnie… Ceci n’est nullement un résumé de « La Chartreuse de Parme » de Stendhal mais bien la vie – certes romanesque – de notre Beniowski.
L’évasion est organisée en mai 1771 grâce à une coalition de détenus dont le baron prendra le commandement. Il est temps de fuir au plus vite, le sort réservé aux bagnards évadés ne saurait qu’être douloureux. La mer de Chine accueille alors près de 80 fuyards en quête de vent de liberté sur un fameux trois mats fin comme un oiseau, « hissez-haut! » comme dirait l’autre.
Des plaines russes aux pérégrinations chinoises, Beniowski connaît la portée du mot « voyage » qu’il finance par les fourrures de fouines et autres zibelines accumulées. Tel Jean Valjean, notre misérable forçat sera de retour dans le port de Lorient afin de rencontrer le roi Louis XV à Versailles. L’histoire rocambolesque de cet Indiana Jones avant l’heure fascine la cour et les membres de la Compagnie des Indes. Les informations dont il dispose, sa capacité de risque-tout et son charisme font de lui un atout dans le jeu de conquête commerciale que provoque la fin du XVIIIème siècle.
Ainsi il est décidé en 1774, d’envoyer l’intrépide Auguste non pas en Orient d’ou il venait mais sur une île lointaine du nom de Madagascar. Sur la route des Indes, la “Grande Île” complète l’hégémonie tricolore dans la région. En effet, Madagascar devançait deux îles sous giron français à savoir l’île Bourbon et l’Île de France – respectivement La Réunion et Maurice.
Le bateau accoste enfin à Madagascar après de nombreuses semaines de navigation. Cette contrée aux paysages somptueux voit alors Beniowski transporté par l’immensité d’un pays autant que par ses ambitions. De valons aux lagons, baignés de lumière, ce territoire s’offre en véritable promesse de prospérité pour cet homme pétri d’aventures.
D’ennemi il devient l’ami des Malgaches
Dans un premier temps, l’émissaire du roi de France développe l’île au détriment des Malgaches. Puis de plus en plus, il se lie d’amitié avec la population locale et les tribus. Les « sauvages » qu’il voyait à ses débuts deviennent peu à peu de précieux alliés. Mieux, les années passant, Auguste Beniowski convoque une assemblée générale. Chefs de village et princes accourent de tout le royaume afin d’honorer cette demande. Après avoir endossé les costumes d’explorateur, marin et bagnard, la prochaine parure sera celle d’un souverain. Roi de Madagascar s’il vous plait!
Que venait faire ce bandit d’Europe de l’Est dans cette région du globe? De surcroit un étranger réticent au commerce des esclaves auquel Madagascar avait tant pourvu. La situation ne pouvait tenir dans ces conditions. Les rapports orientés et le sabotage des administrateurs de l’Île de France se succédèrent pour mener à la perdition de Beniowski.
Ainsi, le 23 mai 1786, un régiment français débarque sur « l’Île rouge » pour se parer de sa fourrure. En effet le souverain de l’ile ne répond plus aux injonctions de la couronne de France et nargue de son pouvoir les plus hautes autorités. Une lutte armée s’engage et le roi Beniowski, malgré ses nouveaux frères d’armes, sera criblé de balles de ceux qui l’avaient envoyé dans son pays d’adoption…
La légende s’achève alors. Une rue malgache honore encore sa mémoire et voit les perpétuels déplacements de citoyens libres comme un clin d’œil à cet explorateur du monde.
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L’académicien Jean-Christophe Rufin exhume une histoire méconnue à travers un récit épique. D’une plume légère, il distille les péripéties d’une vie que seuls les destins extraordinaires peuvent produire et réussit la prouesse de nous faire voyager de manière authentique au coeur du parcours d’un homme emplit des idéaux des Lumières.
Le Tour du monde du roi Zibeline, aux éditions Gallimard