Le 29 novembre 1776, après quatre tentatives, le Chevalier de Tromelin accoste sur un confetti de terre. Sur ce morceau de sable et de coraux, oiseaux et tortues cohabitent avec une poignée d’esclaves abandonnés à leur sort depuis près de quinze ans… Il n’y reste plus que sept femmes qui seront rapatriées à l’île Maurice. Tous les autres ont disparu.
5400 jours, 80 Malgaches, 1km2. Les chiffres résument la situation de ces prisonniers à ciel ouvert. Mais comment en sont-ils arrivés là ?
La faute au naufrage du navire de la Compagnie française des Indes orientales, en juillet 1761, sur les récifs d’une île encore inconnue. Au sein des cales, les esclaves malgaches tremblent. Ce bateau, L’Utile, coule et la moitié des captifs disparaissent, happés par l’océan Indien. Les survivants atteignent cet îlot inhospitalier à près de 500km de Madagascar. Mais peu après, les blancs repartent. Sur un radeau de fortune, ces marchands lancent une dernière promesse au loin. « Nous reviendrons » croit-on percevoir. En vain. L’attente débute.
Les jours, puis les mois et les années passent. Régulièrement, les survivants doivent affronter les cyclones qui balayent l’île. Même la nature s’acharne dans cet enfer éveillé.
De pierres et de coraux
Tel Robinson, il faut apprendre à survivre. Mais que peut-on tirer de cette terre stérile ? Les rescapés bâtissent des abris de fortune grâce aux coraux et aux pierres trouvées ça et là. Mais pour les Malgaches la décision est rude, car en effet, seuls les tombeaux sont édifiés en pierres. Construisent-ils un mausolée ? Chacun y pense. Outre les tiraillements de la faim et le harcèlement ininterrompu des rayons du soleil, la douleur psychologique entre en jeu.
Des hommes tombent de maladie et de carence, la microsociété s’amoindrit. Un à un, les naufragés sont emportés par la mort. Les autres survivent grâce aux oiseaux, tortues et poissons.
Afin de divertir les longues heures du jour, des bijoux sont fabriqués et l’épave du bateau est explorée dans le but de récupérer des ustensiles utiles au quotidien. Parfois, un navire marchand croise l’horizon. Toujours trop loin pour dévoiler sa position et user de ses forces.
Heureusement, 1776 ne marque pas seulement la liberté américaine mais aussi celle de ces quelques âmes hagardes du lieu. Le Chevalier de Tromelin aperçoit dans sa longue-vue une terre où quelques femmes survivent. Lui, l’officier de marine française de la colonie et administrateur du port de Port Louis, vient enfin de retrouver ces malheureux si longtemps recherchés.
Parmi les femmes, un nourrisson
La providence frappe cette fois les survivantes. Une fois installées dans le vaisseau et, après quelques gorgées d’eau douce, les femmes (et un nourrisson) sont menées au sein de la capitale mauricienne, affranchies et pensionnées jusqu’à leur mort. À présent, elles ne sont plus des objets mobiliers, mais bel et bien traitées comme des êtres humains.
D’ailleurs, cette histoire n’échappe pas à l’opinion publique et nombre de personnes se soulèvent contre les « cercueils flottants » que sont ces navires négriers. La révolte gronde et, avec elle, le début du combat anti esclavagiste qui aboutira en 1848.
L’île égarée prend ainsi le nom du sauveur breton Tromelin et est reconnue comme une des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF). Et aujourd’hui, ce territoire réapparaît sur le devant de la scène du fait de l’aspiration de Maurice à en devenir souveraine. Peut-être faudra-t-il patienter encore quinze ans pour voir ce souhait aboutir…
Vous voulez en savoir plus ?
Les dessins de Sylvain Savoia retracent le parcours de ces hommes et femmes dont le destin tragique dura plus d’une décennie. Revivez cette incroyable histoire et la détermination des esclaves qui, malgré eux, provoqueront les premiers débats anti esclavagistes. Les esclaves oubliés de Tromelin aux Éditions Dupuis.