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Vikash Tatayah : « L’abattage des chauves-souris est inutile »

Vikash Tatayah : « L’abattage des chauves-souris est inutile »

En décembre dernier, pour la deuxième année consécutive, le gouvernement a décidé de procéder à l’élimination sélective des chauves-souris. Selon le ministère de l’Agro-industrie, cette décision fait suite « aux doléances des planteurs de fruits concernant les dégâts causés aux fruits par les chauves-souris ». Néanmoins, la Mauritian Wildlife Foundation (MWF) — seule organisation non gouvernementale (ONG) de Maurice à être exclusivement consacrée à la conservation et à la préservation des espèces animales et végétales en voie de disparition — clame que l’abattage de ces mammifères est inutile et n’est pas une solution au problème de perte de récoltes de fruits de saisons. Selon elle, il y a plusieurs incohérences dans la politique du gouvernement sur la question. Parole à Vikash Tatayah, Conservation Director de La MWF.  – propos recueillis en décembre 2016. 

Quelle est votre réaction suite à la décision d’abattage de la Mauritian Fruit Bat (Pteropus niger) ?

©MWF

Encore une fois, nous disons que les deux opérations d’abattage (2015 et 2016) sont injustifiées. Ce sont des actions inutiles qui ne répondent pas au problème de perte de récoltes. Cette année, les litchis sont abondants et nous avons déjà noté des cas d’arbres partiellement récoltés ou non récoltés. Beaucoup de fruits sont même laissés sur les arbres et pourrissent. Dans ces conditions, un  abattage n’a pas de sens.

Les chauves-souris causent, certes, des dommages aux arbres fruitiers; mais la grande partie de la perte de fruits de saison peut être imputée à plusieurs autres facteurs : les maladies, des oiseaux qui se nourrissent, des rats, des insectes et le fait que des fruits tombent naturellement. Des études en Australie ont prouvé que la meilleure façon de protéger les arbres fruitiers et la production fruitières et l’installation de filets de protection. Loin de garantir une production plus importante de fruits, l’abattage n’a pour seul but que d’apaiser la colère des planteurs et autres personnes concernées.

Pour mémoire, la chauve-souris de Maurice (Mauritian Fruit Bat) est une espèce classifiée « vulnérable » par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). L’abattage des chauves-souris nous met face à un risque élevé : que l’espèce passe du statut de « vulnérable » à celui de « en voie de disparition» à nouveau. Lors du Congrès mondial de l’UICN à Hawaï en septembre 2016, la motion 15 intitulée « La protection des chauves-souris sauvages contre les programmes d’abattage » a été votée de façon écrasante par 94% des ONG nationales et internationales et par 97% des gouvernements. L’abattage de ces mammifères va à l’encontre du bilan de l’île Maurice en matière de conservation et a isolé le pays du reste du monde en termes de bonnes pratiques de conservation.

L’abattage des chauve-souris nous met face à un risque élevé : que l’espèce passe du statut de « vulnérable » à celui de « en voie de disparition ». – Vikash Tatayah, Conservation Director de La MWF

 

Le gouvernement affirme recevoir de nombreuses plaintes…

Déjà, le gouvernement n’a pas donné d’indication quant au nombre de chauve-souris qui seront éliminés. Nous ne savons pas, non plus, combien de planteurs se sont plaints. Nous n’avons aucun détail sur ces plaintes. Sur le terrain, nous rencontrons des planteurs divisés. Certains veulent installer des filets, mais n’ont pas les moyens et demandent de l’aide financière, tandis que d’autres aiment les animaux et comprennent que ces mammifères se nourrissent naturellement.

Par ailleurs, le communiqué du ministère restreignant l’abattage des chauves-souris aux vergers uniquement n’est pas exacte. Nous savons que des chauves-souris ont été éliminées dans des forêts en décembre. Les opérations devaient se faire durant la nuit, mais la MWF a été informée qu’elles se passaient en journée aussi. Le problème est que le gouvernement ne nous en parle pas.

Vous voulez dire que la MWF n’a pas été consultée?

En 2016, il y a eu beaucoup plus de dialogue et d’échanges entre le gouvernement et la MWF. L’Etat a procédé à un comptage approprié des chauves-souris. (NdlR: en 2015, la MWF avait contesté les chiffres annoncés par l’Etat qui indiquait une population de 90 000 contre 50 000 selon l’ONG). Selon les chiffres du ministère, en 2016 nous avions 62 000 (+/- 7%) chauves-souris dans l’île avant abattage.

Un comité technique a également été constitué pour discuter de la question. Néanmoins, il faut préciser que la MWF était la seule partie présente dans ce comité, opposée l’abattage de ces mammifères. Ainsi, suite à des probables pressions de la part des planteurs le gouvernent a pris la décision de les abattre pour la deuxième fois.

Avec cette politique du gouvernement, est-ce que la population risque de s’autoriser le droit de les tuer?

Malheureusement, c’est le cas. Une partie de la population pense avoir le droit de tuer des chauves-souris.  « Si le gouvernement le fait, pourquoi pas moi ? » Aujourd’hui, même si les lois protègent ces mammifères, les autorités n’agissent pas pour contrôler la chasse ou les actes de cruauté envers eux.

 

Quelle serait la meilleure politique à adopter?

Nous nous attendons à ce que le dialogue avec le gouvernement continue. Nous ne baissons pas les bras même s’il y a eu deux opérations d’abattage. Nous espérons convaincre les autorités et les planteurs qu’il y a d’autres moyens pour assurer la protection des récoltes.  Les oiseaux et les chauve-souris préfèrent les fruits mûrs, ainsi ils doivent être récoltés une fois arrivés à maturité et non laissées dans les arbres. Ensuite, il est essentiel d’élaguer les arbres fruitiers, afin qu’ils aient moins de 6 mètres de haut, car la chauve-souris préfère les grands arbres.

Aussi, il est absolument essentiel d’installer des filets de protection pour garder les fruits à l’abri. Le programme d’aide pour l’obtention des filets doit être amélioré. Il y a un manque d’accompagnement et d’éducation par rapport à l’installation des filets. Aussi, il faut que ces filets soient disponibles à l’avance et non quand la récolte approche.

Notre travail est uniquement d’assurer la sauvegarde des espèces, mais nous poursuivons nos études concernant la protection des arbres fruitiers.  Nous continuons de croire fermement que l’on peut, à la fois, assurer une récolte abondante et la sauvegarde des chauve-souris sans abattage inconsidéré. Des recherches agronomes doivent être encouragées afin de nous montrer la voie à suivre.

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