Lors de son dernier passage à l’île Maurice Gilbert Pounia, leader de l’emblématique groupe réunionnais parle à coeur ouvert. Ce grand amoureux du mot s’étonne encore de son parcours. Une grande tournée est prévue cette année, qui outre La Réunion, le portera en Europe et bien plus loin.
Annie Lebot : On lit et relit dans les articles qui te sont consacré que tu es un mec cool. Alors Gibert, confirmes-tu être un mec cool?
Gilbet Pounia: (rires) Tout dépend… mais dire ce que l’on pense est important. Sur scène, il y a interaction naturelle entre les musiciens, mais en dehors, il faut parfois remettre les choses en place. Le goût pour la structure et la ponctualité me viennent de mon enfance, avec mes grands parents qui travaillaient dans les champs dans le respect des horaires et mon passé d’éducateur. Je disais aux jeunes qu’il ne fallait pas être en retard, car c’est se mettre en porte-à-faux par rapport à soi et aux autres. Et dans le milieu musical, c’est important de s’y tenir pour casser cette image olé olé du musicien…
AL: 40 ans de carrière cette année depuis le titre mythique de Bato Fou, écrit par l’écrivain réunionnais Axel Gauvin…, y a t-il une recette pour durer?
GP: Quand j’ai commencé je ne savais même pas que ca allait durer 6 mois… On jouait chez les gens, car il n’y avait pas d’autre endroit pour le faire…, la radio il ne fallait même pas y penser, donc on jouait dans la cour, chez les gens et ça a pris… il pleuvait, on rentrait dans la case, le public, dehors, accoudé aux fenêtres. A l’époque, certains musiciens avaient même peur de jouer avec nous, alors qu’ils écoutaient du Bob Marley, ce qui était tout aussi subversif (rires)! Ayant participé au MOMIX et Kaz’Out à Maurice en 2018, j’ai recontré Stéphan Rezannah, le même manager qu’Eric Triton et un Sri Lankais basé en France. Ils travaillent sur la tournée des 40 ans de Ziskakan en Europe et ailleurs. Mais à La Réunion, un gros spectacle au Théâtre de Saint-Gilles est sur les rails.
AL: Tout est en ordre alors pour marquer le coup dignement?
GP: Je ne voulais plus vraiment partir sur les routes, mais on m’y a poussé… et je vais le faire. Comme je ne voulais plus faire d’album, mais je pense quand même au prochain… Avec l’idée de créer quelque chose de très épuré, rythmique, mais épuré, un peu à la JJ Cale.
AL: La marque signature de Zikakan ce sont des textes extrêmement travaillés, avec des mots ou expressions créoles peu entendus. A quoi correspond cette recherche?
GP: Quand on ressort un mot oublié on fait une opération de sauvetage (rires). Je m’inspire beaucoup des livres de l’anthropologue réunionnais Christian Barat et de mots recupérés auprès des gens. Après il ne s’agit pas de tout resservir d’un seul coup, mais de faire fonctionner un mot avec un texte dans l’idée de créer l’image, car c’est elle qui dynamise la langue. Par là, on apporte quelque chose au patrimoine mondial, le créole étant la langue la plus dynamique au monde, car en évolution constante. Je regrette d’entendre autour de moi des textes peu travaillés alors que ça se tient au niveau de la voix et de la musique. Pourquoi ne pas s’associer avec des auteurs, comme Ziskakan l’a fait avec Michel Ducasse, Carpanin Marimoutou, Axel Gauvin…? Ils les écrivent, on les retravaille jusqu’à ce que, l’image, très importante pour moi, s’impose. Ce manque de recherche me désole, qui a une autre conséquence, celle du dénigrement du créole qui apparait alors comme anecdotique.
AL: Des regrets d’avoir fait ou de ne pas avoir fait durant ces dernières 40 années?
GP: Peut-être… j’ai eu des propositions avec de grands professionnels, j’ai travaillé avec les labels Universel, Island…, mais cette machine me faisait un peu peur, je voulais conserver mes musiciens, travailler avec mon cercle. Je me dis parfois que j’aurais du essayer quelques années, comme Davy Sicard… mais de regrets à propement parler, non. Je n’ai pas vu les années défiler.